InOui : l’histoire d’un « bad buzz » qui a tourné à l’avantage de la SNCF
InOui : l’histoire d’un « bad buzz » qui a tourné à l’avantage de la SNCF
LE MONDE ECONOMIE
Plusieurs semaines de réflexions marketing et de luttes d’influence au sein du comité de direction de la SNCF ont abouti à la création d’« inOui », nouvelle griffe des TGV haut de gamme, déclenchant un psychodrame de courte durée.
C’est l’histoire édifiante d’un lancement de marque à la fois raté et réussi. Celui d’inOui, la nouvelle griffe des TGV haut de gamme, dévoilée lundi 29 mai après trois jours de frénésie médiatique mais aussi plusieurs semaines de réflexions marketing et de luttes d’influence au sein du comité de direction de la SNCF.
« J’étais au Qatar le vendredi du week-end de l’Ascension, raconte Guillaume Pepy, président du directoire de la SNCF. J’ai allumé mon smartphone et je me suis demandé ce qui arrivait. »
Ce qui arrive ? Un scoop du Parisien qui fait grand bruit. Le quotidien vient de révéler, le 26 mai, que la SNCF a décidé de remplacer sa marque TGV par un nom venu d’on ne sait où : inOui.
Aussitôt, la Toile prend feu : le mot-dièse #inoui devient une tendance phare de Twitter. Indignations, moqueries… un torrent de « bad buzz » déferle. Quoi ? Notre TGV national disparaîtrait, englouti par la novlangue des marketeurs ? Les cheminots s’inquiètent en ligne. Les tweettos facétieux s’en donnent à cœur joie, rebaptisant le patron de la SNCF « Guillaume PepOui » ou nommant virtuellement le lutin Oui-Oui à la tête de la compagnie nationale.
« Le Parisien a sciemment déformé les faits pour faire du clic », râle un dirigeant de la SNCF. De fait, le quotidien, qui a dévoilé l’information en même temps que la lettre spécialisée Mobilettre, a fortement insisté sur l’effacement de la marque TGV au profit d’inOui. « Le nom TGV ne disparaît pas, rappelle Mathias Vicherat, directeur général adjoint de la SNCF, chargé de la stratégie et de la communication. TGV reste la marque ombrelle de deux gammes de prix associées. Ouigo, d’une part, qui signe notre offre grande vitesse low cost, et inOui, d’autre part, qui constitue le label d’un TGV à haut niveau de prestation. »
Bernés, trahis
Mais le mal est fait. L’opinion commune retient que la SNCF a sabordé le TGV, ce qui provoque, pendant ce week-end fatidique, une montée de tension entre la direction générale et SNCF Voyages qui pilote l’opération. Les hauts dirigeants de la SNCF sont furieux. Ils se sentent bernés par les journalistes et trahis par leurs équipes en interne lorsqu’ils découvrent que même les visuels prévus pour la campagne se retrouvent en ligne.
Quelques jours après l’épisode, M. Pepy prendra d’ailleurs son téléphone pour dire à Francis Morel, patron du groupe de presse propriétaire du Parisien, tout le mal qu’il pense de la présentation d’une information à son sens erronée. En parallèle, une enquête interne à la SNCF est lancée pour savoir d’où viennent les fuites. Elle est toujours en cours et serait en passe d’aboutir.
Comment en est-on arrivé à ce psychodrame ? Pour comprendre la séquence, il faut remonter à la création, en 2013, de la marque de TGV low cost : Ouigo. A l’époque, ce jeu de mot franglais n’émeut guère l’opinion. Il finit même par avoir son petit succès. Testé sur des panels de consommateurs, il séduit. Mieux, la marque Ouigo enregistre un indice de satisfaction de 93 %, jamais atteint par TGV. Bigre ! La SNCF aurait-elle déniché dans ce petit « oui » un sésame marketing ? En tout cas, l’entreprise se dépêche de le décliner : Ouibus pour les cars Macron, Ouicar pour la location de voitures entre particuliers.
La très secrète opération « Simone » est lancée
L’histoire va s’accélérer à partir de janvier 2017. Le nouveau directeur de la communication, M. Vicherat, fait le constat, avec M. Pepy, que l’offre commerciale pléthorique de la SNCF tourne à la cacophonie. « Il fallait ranger la chambre », constate-t-il. Du coup, la très secrète opération « Simone » est lancée. Elle est destinée à rationaliser le portefeuille de marques et va conduire à la disparition rapide d’iDTGV. Dans le même mouvement, il est décidé qu’un nom sera donné à l’offre TGV à tarif normal.
SNCF Voyages fait alors appel à Enov, société spécialiste du marketing sémantique. Pour quelques milliers d’euros, le cabinet lyonnais réunit un panel d’une trentaine d’usagers du TGV pour travailler sur la création d’un nouveau nom. Evidemment, le « oui » de Ouigo est une figure obligée. SNCF Voyages a concocté une liste dans laquelle s’est glissé un peu anonymement inOui à côté de OuiStar et d’autres. Toutefois, un nom semble s’imposer de lui-même : OuiTGV, simple, efficace, et qui a le mérite de conserver les trois lettres magiques.
Mais nos panélistes ne vont pas aller où on les attend. Pour le groupe de clients, OuiTGV, c’est « plan-plan », c’est le TGV de maintenant, ce n’est pas la promesse de changement annoncée par l’ouverture des nouvelles lignes à grande vitesse vers Bordeaux et Rennes, et l’arrivée de trains neufs équipés de Wi-Fi. Le brainstorming des clients va préférer contre toute attente le bien plus ambitieux inOui.
Chez SNCF Voyages, on est enthousiaste. La patronne du département, Rachel Picard, défend la nouvelle proposition devant un comité exécutif dubitatif. MM. Pepy et Vicherat, favorables à OuiTGV, commencent d’ailleurs par s’y opposer. Après plusieurs semaines de négociations tendues, la haute direction finira par se laisser convaincre. « Cela nous permet d’adresser un message en interne, glisse l’un des responsables. De “vendre” à nos équipes le processus de transformation de l’entreprise. »
Deux petites semaines après le choc inOui, il n’est pas sûr que les dirigeants de la SNCF regrettent la séquence.
« Nous avons assisté à un renversement spectaculaire du mauvais buzz, constate Gilles Dansart, fondateur du site Mobilettre et grand connaisseur du secteur. L’attachement des Français à la SNCF et le talent de M. Pepy pour mettre des mots simples sur des choses compliquées y sont pour beaucoup. »
Pour preuve : un sondage tout récent indique qu’inOui jouit d’un taux de notoriété de 53 % huit jours seulement après sa naissance et que, selon 92 % des Français, ce nouveau nom n’a rien de dommageable pour l’image de la SNCF. « Pour atteindre si vite un tel niveau de notoriété, il nous aurait fallu dépenser 35 millions d’euros en publicité », conclut, malicieux, M. Pepy.