« Wulu » : lignes blanches dans le désert
« Wulu » : lignes blanches dans le désert
Par Thomas Sotinel
En suivant un convoyeur de cocaïne sur le trajet Dakar-Bamako, Daouda Coulibaly signe un dynamique « Scarface » malien.
Parce qu’il s’extrait de la misère en faisant commerce de cocaïne, on aura tendance à faire de Ladji, le héros de Wulu, un « Scarface malien », une version bamakoise de Tony Montana. Mais c’est justement ce qui rend ce premier film passionnant que de mettre en scène un autre rapport au crime organisé que celui qui domine dans une société riche.
L’immigré cubain de Brian De Palma se lançait, comme tous ses nouveaux concitoyens, à la poursuite du bonheur, Ladji – comme des centaines de millions de jeunes au sud du Sahara – cherche, lui, sa juste place dans la société des hommes. Le titre même du film, qui fait référence aux rites initiatiques préludant à l’admission d’un garçon dans une société secrète au Mali, pointe dans cette direction : Wulu est un récit d’apprentissage autant qu’un film de gangsters.
Dans le même mouvement, Daouda Coulibaly, Marseillais d’origine malienne, invite les spectateurs à faire l’apprentissage de cet autre paysage moral, dans lequel les gendarmes sont aussi des voleurs. Il le fait avec un impressionnant sens du rythme et de l’action, imprimant à son film une dynamique qui fait passer le manque d’épaisseur de certains personnages et l’accumulation de situations qui n’ont parfois d’autres raisons d’être que de compléter la démonstration de l’auteur.
Clarté narrative exceptionnelle
Quand on rencontre Ladji (Ibrahim Koma, présence impressionnante, forcé à l’impassibilité par son rôle), il est l’auxiliaire d’un chauffeur de minibus. Au moment où il devrait prendre place derrière le volant, son patron préfère engager un parent. Ladji, qui a jadis fait un séjour en prison, renoue avec un ami qui lui confie un camion frigorifique sur le trajet Dakar-Bamako. Dès sa première rotation (première séquence d’action, mise en scène avec une économie de moyens et une clarté narrative exceptionnelles, surtout dans le cinéma d’action français), le garçon fait preuve d’un bel esprit d’initiative, ce qui lui permet de faire connaissance avec le patron français (Olivier Rabourdin) de la très officielle entreprise de transports qui sert de couverture au trafic.
A chaque étape de son ascension, Ladji doit renoncer à une autre part de son humanité. Les amis qu’il a embringués, sa sœur (Inna Modja) à qui il voulait faire quitter le trottoir, tous doivent payer, parfois très cher. Ce versant moral de Wulu est plus convenu, plus raide que celui qui met en scène le business quotidien du trafic. S’appuyant sur une série de faits divers, Daouda Coulibaly élargit progressivement le champ : dans le nord du Mali, Ladji a pour interlocuteurs les groupes armés contre lesquels les troupes françaises interviendront bientôt (le film est situé avant l’offensive islamiste de 2012) ; en Guinée, il profite de l’instabilité qui suit le changement de régime ; à Bamako, il arpente les corridors du pouvoir, qui se confondent avec les arrière-salles du crime organisé.
L’interprétation presque marmoréenne d’Ibrahim Koma, l’enchaînement inéluctable des contraintes qui pèsent sur son personnage tirent Wulu du côté de la tragédie. Finalement, si Ladji ressemble à Scarface, c’est plutôt à l’immigré italien que jouait Paul Muni dans le chef-d’œuvre d’Howard Hawks : un homme sans pitié dans un monde sans pitié.
Bande Annonce WÙLU - Daouda Coulibaly
Film français, malien et sénégalais de Daouda Coulibaly. Avec Ibrahim Koma, Inna Modja, Habib Dembélé (1 h 35). Sur le Web : indiesales.eu/wulu