Elles s’appellent Fekir, Tigist et Feteh. Quand elles viennent en aide à des filles en détresse, elles deviennent Power Girl, Empathy Girl et Whiz Kid Girl (« enfant prodige »). Elles, ce sont les Tibeb Girls, les « filles de la sagesse » en amharique, les premières superhéroïnes éthiopiennes.

Leur créatrice, Bruktawit Tigabu, une entrepreneuse éthiopienne, est à l’origine du premier dessin animé pédagogique du pays, Tsehai adore apprendre (« Tsehai loves learning »), où une girafe donne aux enfants des conseils sur les bons comportements sanitaires à adopter au quotidien. Ce programme a séduit des milliers de tout-petits depuis son lancement il y a plus de dix ans. Cette fois, Bruktawit Tigabu, lauréate du prestigieux Rolex Award for Enterprise en 2010, veut dénoncer la condition des femmes dans les zones rurales en Ethiopie à travers la série télévisée d’animation Tibeb Girls.

Dénoncer les tabous

« Les filles font face à tant de défis au quotidien… Elles n’ont pas le même accès aux soins et à l’éducation que les garçons », déplore-t-elle, dans les locaux de son entreprise sociale, Whiz Kids Workshop, qu’elle a créée avec son mari américain Shane Etzenhouser il y a douze ans dans la capitale Addis-Abeba. Selon la campagne Girl Up de la Fondation des Nations unies, une Ethiopienne sur cinq est mariée avant 15 ans, et seulement un peu plus du tiers des adolescentes et des jeunes femmes de 15 à 24 ans sont alphabétisées.

Pour la productrice, c’est malheureusement une question d’attitude qui est devenue la norme à l’école, au sein du gouvernement, et dans la société. « Même les filles ont cette attitude : elles ont des problèmes d’estime de soi. Elles ne croient pas en elles car on leur a appris qu’elles ne valaient pas grand-chose, poursuit-elle. C’est mon devoir de montrer aux Ethiopiennes qu’elles ont du potentiel. »

A travers les Tibeb Girls, elle veut « toucher le cœur des gens ». « Les superhéros, ce n’est pas un concept tout neuf », reconnaît-elle. Mais dénoncer les tabous à travers un dessin animé divertissant peut permettre de toucher le grand public et d’ouvrir le dialogue, argumente-t-elle.

Tibeb Girls Opening

Dans l’épisode pilote, traduit en amharique, en anglais et en français, les superhéroïnes viennent en aide à la petite Hanna, vendue à un époux plus âgé qu’elle. Les trois jeunes femmes parviennent à la libérer de l’emprise de sa communauté, et d’un mariage non désiré. La série aborde des sujets variés comme les violences conjugales, le mariage précoce ou les menstruations, souvent vues comme quelque chose de honteux dans le pays.

Noires, fières de leurs racines et de leur féminité

Elle évoque également les changements du corps et les bouleversements psychologiques liés à la puberté. Une période lors de laquelle les adolescents ont « besoin de tellement de soutien », remarque Bruktawit Tigabu, qui regrette que les troubles psychologiques des enfants ne soient pas vraiment pris en charge en Ethiopie.

Une leçon de courage

Les superhéroïnes, vêtues d’une robe traditionnelle et d’une cagoule, ont chacune une histoire difficile. Leurs pouvoirs – voler, voir dans l’avenir et ressentir les émotions des autres – n’agissent que lorsqu’elles sont réunies. Sinon, ce sont des filles ordinaires. « Les Ethiopiennes doivent se soutenir, s’entraider, reconnaître leurs problèmes, et ne pas se laisser définir par eux. Je veux faire ressortir ce qu’elles ont de meilleur en elles, que n’importe quelle fille se dise : “Je peux être une héroïne !” », poursuit la créatrice.

L’entrepreneuse et son équipe sont désormais à la recherche de distributeurs et de financements, afin de produire plusieurs saisons des Tibeb Girls, et de diffuser le programme non seulement en Ethiopie, mais aussi dans d’autres pays africains. Le premier épisode, financé en partie grâce aux subventions de l’ONG américaine Rise Up et par les ventes des livres pédagogiques que Bruktawit Tigabu édite, a coûté plus de 30 000 euros.

L’Ethiopienne a déjà d’autres idées pour la suite de la série. Sa source d’inspiration ? Les filles qu’elle rencontre et qui lui donnent à chaque fois une leçon de courage. Comme lors de cet atelier dans le Wolaita, au sud du pays, où une jeune femme l’a légèrement provoquée, lui expliquant que l’une d’entre elles avait été vendue à un homme contre un téléphone portable. « Que vas-tu faire face à cette situation ? », a-t-elle demandé, cherchant une solution. Ce que souhaite Bruktawit Tigabu ? « Que les filles se disent : “Lève-toi et bats-toi !” » pour la vie des femmes en Ethiopie.