Londres et Bruxelles commencent prudemment à négocier le Brexit
Londres et Bruxelles commencent prudemment à négocier le Brexit
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Le coup d’envoi des discussions entre le Royaume-Uni et l’UE s’est déroulé dans une ambiance policée. Les parties ont su s’entendre sur les indispensables aspects pratiques.
Les négociateurs britannique, David Davis (à gauche), et européen, Michel Barnier, sur le Brexit lors de leur conférence de presse commune à Bruxelles, le 19 juin. | EMMANUEL DUNAND / AFP
Ce D-Day « Brexit », lundi 19 juin à Bruxelles, aurait pu commencer sous de plus mauvais auspices. Par un « clash » entre le français Michel Barnier, négociateur en chef pour les Européens, et David Davis, son homologue britannique. Par des échanges aigres-doux, ou l’annulation d’une conférence de presse commune, prévue pour la fin de journée.
Il n’en a rien été : le véritable coup d’envoi des discussions du divorce entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union européenne (UE) s’est déroulé dans une ambiance policée. Si aucune décision d’importance n’y a été prise, les parties ont su garder leur calme et s’entendre sur les indispensables aspects pratiques d’une négociation marathon, prévue pour durer jusqu’à fin mars 2019.
Jean Monnet et Winston Churchill
Les Européens comptaient surtout restaurer une confiance entamée lors de la campagne des législatives britanniques, durant laquelle la première ministre Theresa May n’a cessé de durcir le ton face à Bruxelles. M. Barnier avait pris soin en début de journée d’exprimer « toute [sa] sympathie au peuple britannique » après l’attaque terroriste devant une mosquée londonienne, la veille. Le Savoyard a offert un bâton de randonnée à M. Davis, cité Jean Monnet – « Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis déterminé » – face aux journalistes, et considéré que cette première session avait été « importante et utile ».
Le Britannique lui a rendu la pareille, invoquant Churchill – « Un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté » –, faisant cadeau à l’ex-commissaire d’un ouvrage de Maurice Herzog sur l’Annapurna, et jugeant leur premier rendez-vous « très productif ».
Pour M. Davis, il s’agissait de tenir la promesse faite par son gouvernement d’une entrée en négociation le 19 juin. Bien que la conservatrice Theresa May semble moins prête que jamais à entamer la « discussion du siècle », après avoir perdu sa majorité absolue a la Chambre des communes, lors des élections anticipées du 8 juin.
Preuve de la faiblesse des Britanniques à leur arrivée à la table des négociations, lundi : M. Davis a accepté la méthode de travail suggérée par M. Barnier depuis déjà deux mois. Les équipes de négociateurs devraient se retrouver pour des cessions de discussions d’une semaine tous les mois. Prochain round programmé le 17 juillet.
Les Britanniques ont aussi donné leur feu vert à la formation de trois groupes de travail, censés plancher sur les droits des citoyens (Européens au Royaume-Uni, Britanniques ailleurs dans l’Union), les « engagements financiers » de Londres au budget de l’UE, et « d’autres sujets liés au Brexit » (les actions en justice en cours au moment du divorce, etc.). Le cas très sensible de l’Irlande, affectée au premier chef par un futur Brexit, sera traité dans le cadre d’un « dialogue » entre les adjoints de MM. Davis et Barnier.
« Rien n’est accepté tant que tout n’est pas accepté »
En revanche, M. Davis est resté flou sur un point prioritaire pour Bruxelles : le « séquençage » des discussions. Les Européens exigent d’obtenir un accord de principe sur les termes du divorce avant d’aller plus avant dans la réflexion sur une « future relation » avec le Royaume-Uni. Alors qu’à Londres, on souhaiterait tout mener de front. « Rien n’est accepté tant que tout n’est pas accepté » a juste relevé M. Davis.
Il s’est également bien gardé d’accepter le principe du chèque que Bruxelles réclame à Londres pour solder ses engagements européens (des sommes non officielles circulent, allant de 40 milliards à… 100 milliards d’euros). Selon nos informations, le Britannique est resté volontairement vague face aux journalistes lundi, pour ne pas avoir à étaler son différend avec les Européens.
Avait-il le choix alors que les conservateurs britanniques sont plus que jamais divisés sur la nature du Brexit qu’ils souhaitent ? Mme May plaidait pour un « hard Brexit » (sortie du marché intérieur et de l’union douanière), mais elle est contestée. « Notre position reste inchangée », a cependant affirmé M. Davis, un eurosceptique de longue date.
Le négociateur britannique aurait en revanche un peu rassuré les Européens concernant le sujet, lui aussi hautement inflammable, des citoyens de l’UE. Les Britanniques ont promis de formuler une offre concernant le sort des plus de 4 millions d’Européens affectés, le 26 juin.
Personne ne se faisait trop d’illusions lundi soir à Bruxelles : la randonnée du Brexit promet d’être longue et escarpée, pour filer une métaphore qu’affectionne M. Barnier, un amoureux des balades en montage.