Accord de paix avec les FARC : « Nous saurons s’il avance, ou recule, après la présidentielle »
Accord de paix avec les FARC : « Nous saurons s’il avance, ou recule, après la présidentielle »
Propos recueillis par Camille Mordelet
Alors que la Colombie entre dans son ultime phase de désarmement des guérilleros, le chercheur Jean-Jacques Kourliandsky pense tout se jouera en 2018.
Un combattant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) participe à un défilé dans le camp de Villa Colombie, près de San Vicente del Caguan, dans la province de Caqueta, Colombie, le 29 avril 2000. | JOSE GOMEZ / REUTERS
La Colombie entre, mardi 20 juin, dans la troisième et ultime phase du désarmement des quelque 7 000 guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxiste). Le groupe armé est censé achever de rendre toutes ses armes à l’ONU d’ici une semaine pour continuer d’appliquer le processus de paix signé en novembre 2016. A la clé, la fin de cinquante-trois années de lutte armée. Et pour les FARC, une réintégration dans la société civile, ainsi que la possibilité de former un groupe politique.
Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) sur les questions ibériques et consultant auprès de l’administration publique. Pour lui, le destin de l’accord de paix repose sur la prochaine élection présidentielle colombienne, en 2018.
A ce stade, quels facteurs pourraient empêcher le processus de paix avec les FARC d’aboutir ?
La Colombie a une longue tradition de culture de la violence, qui s’alimente elle-même. L’obstacle principal à ces accords est que les acteurs de la violence dans le pays ne se limitent pas aux FARC. L’ELN [Armée de libération nationale, guévariste], la deuxième guérilla de Colombie après les FARC, a refusé de participer aux accords de paix initiaux, bien qu’elle soit, maintenant, en négociation de son côté.
Mais ce sont surtout les bandes mafieuses qui posent problème. Elles investissent les territoires ruraux laissés derrière par les FARC, notamment la côte pacifique colombienne. Mêlés à des trafics de drogue, de voitures ou encore de minerais, ces groupes ont des intérêts privés économiques et ne sont aucunement politisés, contrairement aux FARC ou à l’ELN. Ces groupes de délinquants agissent par appât du gain, mais ils parviennent à s’afficher comme de véritables opposants au processus de paix.
La réforme agraire est l’un des principaux points de l’accord de paix. Elle pourrait permettre de restituer leurs terres aux paysans expropriés par un demi-siècle de conflit. Sauf que les groupes mafieux se sont positionnés contre ces paysans en défendant les intérêts des actuels occupants, allant jusqu’à assassiner certains revendicateurs. Le processus de paix se poursuit, mais il prend du retard et est indiscutablement handicapé par toute cette violence.
Un demi-siècle de conflit ; 7,1 millions de personnes déplacées ; 260 000 morts et plus de 60 000 disparus… Trois années de tractations entre le gouvernement du président Juan Manuel Santos (centriste) et les FARC sont-elles vraiment suffisantes pour réunifier le pays et réintégrer les FARC dans la société ?
Certainement pas. Les Colombiens en périphérie des villes sont ceux qui ont le plus souffert de la guerre durant toutes ces décennies. Eux veulent la paix. C’est pour cela que les campagnes ont bien plus voté en faveur du référendum sur l’accord de paix en octobre 2016 que ne l’ont fait les villes. Ce sont les habitants de ces dernières qui ont finalement fait gagner le « non » à l’issu de ce référendum. La Colombie devient de plus en plus urbaine et les habitants les villes voient les FARC comme des criminels avec qui il n’y a pas de raison de faire la paix.
Cet accord est aussi influencé par un phénomène d’opposition à la politique globale du président Santos. Nous nous retrouvons dans une situation étrange où ce processus de paix avec les FARC est bien plus populaire à l’internationale qu’à l’intérieur de la Colombie. Juan Manuel Santos est véritablement le seul en ce moment à défendre l’accord de paix dans son pays. Et tout cela est en partie à cause d’un agenda politique dû à l’élection présidentielle en 2018.
Cette élection présidentielle pourrait-elle vraiment mettre en péril le processus de paix ?
Historiquement, les élections présidentielles ont toujours entravé les processus de paix en Colombie. Chaque accord trouvé entre un groupe armé et le gouvernement fini par être conspué à la présidentielle suivante et la violence se perpétue par le biais d’autres groupes armés. L’élection de 2018 pourrait ne pas faire exception. L’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010) de la droite conservatrice ne cesse de se montrer critique envers les accords avec les FARC. Les petits partis de gauche ne disent rien, alors qu’ils sont pour la paix. Mais ils ne veulent pas faire de publicité au camp du président Santos.
En fait, on ne parle de l’accord de paix à l’intérieur du pays que pour en dire du mal, ce qui n’est pas pour aider son acceptation par une population urbaine de moins en moins intéressée par le sujet. Le 20 juin est une étape supplémentaire, mais sans réel impact. Cet accord de paix, nous saurons s’il avance, ou recule, après l’élection présidentielle colombienne.
Samedi 18 juin a eu lieu un attentat à la bombe dans capitale Bogota, qui a fait trois victimes, dont une Française. Les auteurs de cet acte n’ont toujours pas été identifiés. Mais le gouvernement semble penser que c’était bel et bien le processus de paix qui était visé à travers cet attentat…
Il faut analyser le déroulement de cet attentat. Il a eu lieu dans des toilettes réservées aux femmes dans un centre commercial. L’acte était ciblé. Les personnes visées étaient clairement des femmes urbaines, issues de classes aisées. Je suis d’accord avec les suppositions du gouvernement colombien. Cet attentat visait à réintégrer un contexte de violence dans les villes et le timing permet de faire le lien avec l’avancée du processus de paix. Cet acte a pour but de créer une instabilité, donc d’instiller l’angoisse au sein des électeurs urbains qui sont, comme je le disais, les plus opposés à l’accord.
Perpétrer un attentat sans le revendiquer permet de garder la population dans une zone de brouillard et de faire passer l’idée qu’un accord de paix avec des « criminels » va ramener la violence dans les villes. Nous savons à qui cette angoisse pourrait profiter : les groupes mafieux et ceux qui pensent que la place des FARC est en prison.