LES CHOIX DE LA MATINALE

La semaine cinématographique qui s’ouvre sera des plus éclectique : animation enjouée, horreur abstraite, fantastique social, roman de formation politique, documentaire lyrique.

MAÎTRE GOUPIL TRANSFORMÉ EN POULE : « Le Grand Méchant Renard »

LE GRAND MECHANT RENARD ET AUTRES CONTES – Bande-annonce officielle (2017)

Ceux qui ont aimé Ernest et Célestine, précédent et premier long-métrage de Benjamin Renner adapté du livre de Gabrielle Vincent et coréalisé avec le décapant duo belge Patar et Aubier, retrouveront avec plaisir dans Le Grand Méchant Renard et autres contes quelque chose de la vis comica aux ressorts libertaires qui en faisait le sel.

Seul aux commandes désormais, pour porter à l’écran une bande dessinée dont il est lui-même l’auteur (publiée chez Delcourt en 2015, qui lui a valu une belle moisson de prix), le jeune réalisateur réaffirme en effet, autour d’un personnage de renard faible, trouillard et sentimental, incapable d’assumer son statut de prédateur carnivore, son goût pour l’inversion des rôles, le détournement des genres, la permutation des assignations dites « naturelles ». Isabelle Regnier

Film d’animation français de Benjamin Renner (1 h 20).

UNE FANTASTIQUE AMBITION : « K.O. »

K.O. Bande Annonce (2017)

Pour gagner, depuis l’avenue Foch, un immeuble moderniste probablement situé rive droite, Antoine Leconte, jeune loup œuvrant au sein d’une chaîne de télévision française, doit passer le pont de Bercy. La ville dans laquelle ce sombre individu évolue comme un requin blanc (s’il s’arrête, il meurt) est inspirée d’une ville réelle, Paris, sans lui ressembler. Si K.O. s’ancre dans la réalité, c’est en poussant sur ses excroissances les plus étranges. Le deuxième long-métrage de Fabrice Gobert – par ailleurs réalisateur de la série Les Revenants – distille cette étrangeté avec énergie, virtuosité et présomption.

Tournant le dos aux habitudes du cinéma français, multipliant les références, de Dickens à David Lynch en passant par Les Soprano, K.O. est une excursion parfois fatigante mais souvent gratifiante, en dehors des sentiers battus. Laurent Lafitte, dans le rôle principal, déploie une énergie prodigieuse pour faire tenir ensemble ces morceaux. Thomas Sotinel

Film français de Fabrice Gobert. Avec Laurent Lafitte, Chiara Mastroianni, Clotilde Hesme, Jean-Charles Clichet (1 h 55).

LA RÉVOLTE AVANT LA NUIT : « Ava »

AVA Bande Annonce (Comédie Dramatique, Laure Calamy - 2017)

Ava a 13 ans, et on lui apprend qu’elle va perdre la vue. Dès lors, elle agit comme si elle n’avait rien à perdre, brûlant la vie, n’écoutant plus que sa colère et son désir. L’action se passe sous le soleil du mois d’août, sur fond de mer et de ciel bleu azur, dans une station balnéaire non identifiée du sud de la France. Un parti politique fascistoïde vient de prendre le pouvoir, du moins est-ce ce que suggère l’apparence des deux agents de la police montée qui arpentent silencieusement les rues de la ville. Cet étrange chien noir qui déambule au milieu des vacanciers avachis sur la plage porte en lui une forme de menace, qui résonne avec le mal qui frappe les yeux d’Ava autant qu’avec les émanations mortifères du monde déliquescent qui l’a vue naître.

Auteur de ce premier long-métrage, Léa Mysius a réussi son entrée dans le monde du cinéma lors du dernier Festival de Cannes. Présente sur le tapis rouge dès l’ouverture au côté d’Arnaud Desplechin, avec qui elle a coécrit Les Fantômes d’Ismaël, cette jeune femme de 28 ans, diplômée de la Femis en 2014, a fait sensation avec ce film quelques jours plus tard à la Semaine de la critique. Isabelle Regnier

Film français de Léa Mysius. Avec Noée Abita, Laure Calamy, Juan Cano (2 h 05).

LE DANGER VIENT DES FAMILLES : « It Comes at Night »

It Comes At Night | Official Trailer HD | A24

Dans un monde, donc, devenu dangereux à la suite d’une épidémie mortelle, un homme, Paul, s’est installé avec sa femme et son fils adolescent dans une maison au fond des bois, sans doute pour fuir la violence chaotique et la règle du « chacun pour soi » qui s’est emparée des humains. Arrive un inconnu, un soir, aux intentions indécidables. Capturé par Paul après une tentative d’effraction de la maison, il prétend, lui aussi, vouloir survivre avec sa famille (une femme et un petit garçon). Paul décide de lui proposer de partager avec celle-ci son habitation, de mettre en commun leurs maigres biens et de cohabiter avec la sourde intuition que cette cohabitation accroîtra leur chance de survie.

Mais, ici, le suspense ne consiste pas seulement à imaginer le dérisoire d’une normalité condamnée à l’échec car détruite inéluctablement par l’extraordinaire d’un fléau qui menace l’humanité. Il s’agit plutôt de dévoiler le caractère menaçant d’états justement ordinaires (la vie conjugale, le désir sexuel, la puberté adolescente, l’inconscience des tout jeunes enfants), toutes situations qui portent en elles un chaos domestique à venir. Cette machine va donc, en toute logique, progressivement se détraquer. Jean-François Rauger

Film américain de Trey Edward Shults. Avec Joel Edgerton, Riley Keough, Christopher Abbott (1 h 37).

UNE FRANCE SUD-AMÉRICAINE : « Rencontres en Guyane »

Rencontres en Guyane Bande Annonce

C’est une sortie peu commune, celle d’un documentaire réalisé en 2009 en Guyane, autofinancé, jamais diffusé à la télévision, et projeté de façon circonstancielle. Nul doute que le long et violent mouvement social qui a éclaté en mars dans ce département français d’Amérique latine aura encouragé le cinéma Saint-André-des-Arts, à Paris, à programmer ce film. A découvrir le documentaire, on peut en effet être tenté d’y lire les signes avant-coureurs de cette explosion. Ils y sont, de fait, mais ne constituent pas pour autant l’essentiel de son propos, et c’est presque tant mieux.

Rencontres en Guyane se distingue par sa qualité intrinsèque et la découverte à laquelle il nous invite d’un continent pratiquement inconnu pour beaucoup de métropolitains. Sans rien occulter des problèmes qui affectent la région – la pauvreté, la délinquance, le manque de subventions, la rivalité entre les communautés, l’intolérance envers les nouveaux venus – Xavier Gayan parvient à faire de cette succession de rencontres, surprenantes de fraîcheur et de naturel, une réflexion vivante sur la richesse de ce melting-pot. Jacques Mandelbaum

Documentaire français de Xavier Gayan (1 h 30).