La mosquée Al-Nouri de Mossoul, emblème de la ville mais aussi des djihadistes
La mosquée Al-Nouri de Mossoul, emblème de la ville mais aussi des djihadistes
Par Madjid Zerrouky
La perspective de voir les forces irakiennes parader dans la mosquée a pu paraître insupportable aux yeux de l’EI, qui a détruit le monument mercredi soir.
La mosquée Al-Nouri, en juin 2009. | Maya Alleruzzo / AP
En réduisant en poussière la mosquée Al-Nouri et son célèbre minaret incliné datant du XIIe siècle, l’organisation Etat islamique (EI), qui avait certainement miné le monument, aura non seulement détruit un édifice qui a « traversé toutes les guerres et toutes les invasions », selon la formule d’un historien mossouliote, mais également effacer une partie de ses propres références. C’est notamment là que l’autoproclamé calife Abou Bakr Al-Baghdadi avait fait son unique apparition publique, le 4 juillet 2014.
Un choix qui ne doit rien au hasard : d’Al-Qaida à l’Etat islamique, du Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, le père fondateur du djihad irakien des années 2000 aujourd’hui vénéré par l’EI, à Al-Baghdadi, bien des chemins mènent à Mossoul et à sa célèbre mosquée.
Plus que la chute de la ville, la perspective de voir les forces irakiennes parader dans la mosquée Al-Nouri, d’où elles auraient pu décréter Mossoul libéré, a pu paraître insupportable aux yeux de l’EI, car elle aurait également signifié l’enterrement symbolique du grand dessein d’Al-Zarkaoui. Le Jordanien, qui souhaitait faire de l’Irak le point de départ d’une offensive djihadiste qui emporterait les Etats de la région, avait érigé au rang de mythe fondateur la reconquête musulmane du XIIe siècle face aux croisés – les Occidentaux d’aujourd’hui étant pour les djihadistes les croisés d’hier.
Parmi les figures de cette reconquête : Saladin et, avant lui, Noureddine Al-Zinki, qui, peu de temps avant sa mort, ordonna la construction de la mosquée Al-Nouri à Mossoul en 1171.
Dans une biographie consacrée à Abou Moussab Al-Zarkaoui, Saif Al-Adel, ancien émir par intérim d’Al-Qaida entre la mort d’Oussama Ben Laden et l’intronisation d’Ayman Al-Zawahiri, avait pointé en juin 2009 l’attrait qu’exerçait Mossoul sur le Jordanien : « Il était fasciné par Noureddine Al-Zinki, un leader islamique distingué qui a dirigé la campagne de libération des terres musulmanes. Une campagne qui a été menée jusqu’à la victoire par Salah-Al-Din Al-Ayyubi [Saladin]. Abou Moussab demandait toujours s’il y avait des ouvrages disponibles qui avaient été consacrés à Noureddine Al-Zinki et à Saladin. Je pense que les livres qu’il a lus sur Al-Zinki, qui a lancé sa campagne à partir de Mossoul, ont influencé son choix de s’établir en Irak après la chute de l’émirat islamique d’Afghanistan [le régime des talibans en 2001]. »
Né à Tikrit, à 200 kilomètres de Mossoul, Saladin, qui reprit Jérusalem aux Francs en 1187, est lui aussi un personnage récurrent de la propagande de l’EI, qui le célèbre en puisant notamment dans des références a priori bien éloignées des canons théologiques du mouvement : Hollywood et le film Kingdom of Heaven, réalisé en 2004 par Ridley Scott, dont l’EI a repris à de nombreuses longues séquences pour les insérer dans ses vidéos de propagande.
C’est dire si le lieu choisi par Abou Bakr Al-Baghdadi pour son sermon du 4 juillet 2014 était symbolique. Il annonçait ainsi, tel un Al-Zinki ou un Saladin contemporain, l’imminence d’une réunification de Mossoul et d’Alep sous la bannière de son nouveau califat et parachevait le récent projet d’Al-Zarkaoui, la fonction de calife en plus. En attendant de prendre Bagdad, l’ancienne capitale du califat abbasside et cible ultime de l’EI, lors de son offensive de l’été 2014.