« Paris est vulnérable aux canicules »
« Paris est vulnérable aux canicules »
Par Albert Lévy (Architecte et urbaniste, membre du Réseau environnement santé/RES, chercheur au CNRS)
Dans une tribune au « Monde », l’architecte Albert Lévy affirme que les caractéristiques urbanistiques de la capitale l’exposent particulièrement aux risques de pollution et de canicule. Il appelle la municipalité à s’engager dans un urbanisme de dédensification, de verdissement et d’arborisation de l’espace urbain.
« En suivant le périphérique, on peut mesurer l’ampleur de l’édification réalisée, ou en cours, aux environs des portes de la capitale, une zone qui, à l’origine, devait être une ceinture verte. » (Des Parisiens tentent de se rafraîchir dans les fontaines près de la tour Eiffel, le 21 juin.) | GONZALO FUENTES / REUTERS
L’été vient à peine d’arriver et Paris connaît déjà sa première grande vague de chaleur. Le dérèglement climatique en cours, avec les canicules qu’il engendre, est causé, on le sait, par les émissions de gaz à effet de serre du XXe siècle qui se poursuivent et s’amplifient aujourd’hui.
La décision de Trump de retirer les Etats-Unis des accords de Paris est catastrophique pour le climat et la planète alors que l’Amérique est responsable du quart de ces émissions. Heureusement, une bonne partie du pays ainsi que des grandes villes américaines ne le suivent pas dans ce déni criminel.
Les météorologues sont unanimes : nous allons inexorablement vers une hausse des températures et les étés en Europe vont devenir torrides. Même si nous engageons dès maintenant des actions radicales en faveur de la limitation de la température, il faudra attendre vingt-cinq à trente ans pour connaître les premiers résultats, sentir les premiers effets et renverser la tendance.
Dangereux cocktail
Dans l’attente, il faut rendre les villes vivables et habitables et faire en sorte qu’elles ne contribuent pas par leur densité, leur compacité et leur minéralité excessives à l’augmentation de l’inconfort thermique, voire de la température par le phénomène de l’îlot de chaleur urbain (ICU).
L’ICU résulte de trois facteurs conjugués : la présence quantitative et qualitative de la « nature » en ville, la densité du bâti et ses caractéristiques constructives (matériaux), chromatiques (couleur), la densité de la population et des activités urbaines (circulation, production, habitation…) qui participent pour 20 % à la totalité de l’ICU (on parle de chaleur anthropique).
Les conséquences sanitaires de ces canicules sont connues, celle de 2003 avec ses 15 000 morts a laissé des traces dans la mémoire : elles touchent surtout les personnes les plus fragiles (enfants en bas âge, personnes âgées, malades chroniques du cœur, des voies respiratoires…). Une chose est sûre : le cocktail de pollutions de particules fines et d’ozone, provoqué par le fort ensoleillement, entre en interaction avec la chaleur et devient un danger pour la santé.
Ce sont les villes, où se concentrent le trafic motorisé et les activités économiques, qui produisent les trois quarts des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi, outre la nécessaire limitation de la circulation motorisée, des véhicules privés et la conception d’une autre politique de transport durable, il faut aller vers un urbanisme de dédensification, de réduction de la densité, de verdissement et d’arborisation de l’espace urbain, en introduisant aussi l’eau (bassins, fontaines…), partout où cela est possible.
Une politique continue de densification urbaine
Paris présente deux caractéristiques défavorables pour faire face au changement climatique et aux canicules : une forte densité démographique – Paris est, avec 21 470 habitants/km², la 5e ville la plus dense du monde, après Dacca (Bangladesh), Manille (Philippines), Le Caire (Egypte), Mumbai (Inde) – et un faible ratio d’espaces verts par habitant (un des plus bas de France et d’Europe, avec 5, 8 m²/habitant et 14, 5 m²/habitant avec les deux bois de Boulogne et de Vincennes) ; de plus, la concentration des activités économiques et commerciales y est aussi très forte (35 % des emplois de la région).
Malgré la prise de conscience climatique de la ville et sa position en pointe sur cette question, ses nombreux plans anticanicule et ses déclarations écologiques, c’est une politique inverse qui est menée : la municipalité poursuit ces dernières années une politique continue de densification urbaine, malgré l’opposition des habitants et sans tenir compte de leurs avis, en construisant partout, dans chaque parcelle vide ou qui se vide ; le rehaussement de tous les immeubles de bas étage est également prévu, des tours sont programmées (tour Triangle), et cela au détriment des espaces verts.
A lire sur le sujet :
– Ville et santé : nouveaux défis, par Albert Lévy. L’architecte prône l’union entre médecine environnementale et urbanisme durable (Le Monde du 14 mars 2013).
En suivant le périphérique on peut mesurer l’ampleur de l’édification réalisée, ou en cours, aux environs des portes de la capitale, une zone qui, à l’origine, devait être une ceinture verte. Paris devrait cesser de croire que tous ses problèmes (logement, circulation, emplois…) peuvent être résolus dans les limites de son périmètre administratif : il faut sortir des frontières intra-muros et travailler à l’échelle du Grand Paris, actuellement en chantier, mais qui tarde à avancer.
Par ses caractéristiques urbanistiques, Paris est vulnérable aux canicules, il faut donc veiller, dans le contexte du changement climatique actuel, à ce que les politiques urbaines menées ne renforcent cette vulnérabilité, rendant in fine, à certaines périodes de l’année, la ville inhabitable.
Les travaux d’Albert Lévy portent principalement sur la conception architecturale, l’histoire des théories de l’urbanisme et l’analyse des grands projets d’urbanisme. Il a notamment coordonné l’ouvrage « Ville santé, urbanisme. Les trois révolutions » (Editions Pascal, 2012).