La diffusion en direct de vidéos personnelles dans le viseur de la censure chinoise
La diffusion en direct de vidéos personnelles dans le viseur de la censure chinoise
Par Harold Thibault
L’administration d’Etat a interdit, jeudi 22 juin, le « live streaming » sur trois plates-formes majeures. La plupart des contenus qui y sont diffusés sont pourtant inoffensifs.
La plupart des contenus diffusés en direct sont inoffensifs. Sur l’application Inke, l’une des plus populaires, on trouve des centaines d’internautes racontant leur vie. | JOHANNES EISELE / AFP
La diffusion en direct de vidéos de scènes de la vie quotidienne – ou live streaming – séduit une audience toujours plus importante en Chine. Trois cent quarante-quatre millions de personnes, soit 47 % de l’ensemble des internautes chinois, ont suivi des vidéos diffusées en direct en 2016. Cette tendance n’a pas échappé à l’œil vigilant de l’Etat-parti et de ses censeurs, gardiens tant de la moralité que du politiquement correct.
L’administration d’Etat de la presse, de la radio, du cinéma et de la télévision a interdit, jeudi 22 juin, la diffusion en direct de vidéos sur trois plates-formes majeures : AcFun, comparable à Dailymotion, le site iFeng du groupe de médias Phoenix, et Sina Weibo, l’équivalent chinois de Twitter.
Les trois sites sont accusés d’avoir diffusé des contenus à caractère politique ou social en infraction avec la réglementation étatique et d’avoir promu des contenus comportant des « discours négatifs ». Sans préciser combien de temps durera cette interdiction, les censeurs les invitent à une « rectification exhaustive » pour créer un « cyberespace plus propre ».
Musculation, karaoké, problèmes de peau…
La plupart des contenus diffusés en direct sont inoffensifs. Sur l’application Inke, l’une des plus populaires, on trouve des centaines d’internautes racontant leur vie, les commentaires de leurs fans s’affichant simultanément. Une jeune femme montre par exemple comment faire des exercices de musculation (pompes et gainage), elle est suivie par 11 341 personnes. Une autre reprend des tubes en karaoké pour plus de 40 000 spectateurs. Un docteur, qui évoque les problèmes de peau, est regardé par 38 584 curieux.
Des internautes deviennent en quelques mois de véritables célébrités en ne faisant que raconter ainsi, devant leur webcam, leur vie quotidienne. Le profil d’Alice, l’une des pointures de l’application Inke, est suivi par 2,3 millions de personnes. Dans une de ses dernières vidéos, elle s’agace de ne pas retrouver son smartphone dans son sac. Dans une autre, elle s’applique du fond de teint sur les joues.
Le public peut rémunérer ces diffuseurs individuels en leur envoyant des émoticônes, qui pourront ensuite être convertis en argent. Selon le cabinet spécialisé dans l’Internet chinois iResearch, le marché du live streaming représentait 20,8 milliards de yuans (soit 2,7 milliards d’euros) en 2016, en progression de 180 % sur un an.
Préparation du 19e congrès du PCC
Mais du point de vue des censeurs, le live streaming est risqué. Tant pour ses incroyables audiences que parce qu’il n’est pas filtré en amont. En mai 2016, les autorités chinoises avaient déjà interdit aux starlettes du Web de manger des bananes de manière suggestive en direct. Cette année, en mars, elles ont fait fermer dix plates-formes et dressé des amendes à quarante-huit sociétés pour des infractions en tout genre.
Le site Huajiao a ainsi été puni pour avoir diffusé la vidéo d’une femme prétendant être dans l’enceinte de la Cité interdite après l’heure de fin des visites – elle était en fait dans un studio.
La marge de liberté d’expression n’a cessé de se réduire en Chine depuis l’arrivée à la direction du Parti communiste chinois (PCC) de Xi Jinping, en novembre 2012, mais le contexte actuel est particulièrement sensible aux yeux du pouvoir. A l’automne se tiendra le 19e congrès du PCC, qui marquera le mi-mandat de Xi Jinping. Et, à l’approche de cette célébration, rien ne doit être laissé au hasard.