Les critiques venues d’Europe ne sont pas les bienvenues chez les pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. A l’occasion de la 32e assemblée parlementaire paritaire ACP-UE qui s’est tenue du lundi 19 au mercredi 21 juin, à Malte, les Européens l’ont une nouvelle fois constaté concernant le Burundi.

La situation politique du pays a dégénéré depuis avril 2015, lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé sa candidature pour un troisième mandat – qu’il a obtenu en juillet. Depuis deux ans la situation politique n’a cessé de se dégrader. Le président veut désormais obtenir sa nomination à vie et les exactions se multiplient contre les opposants. Et depuis mars 2016, l’Union européenne a suspendu l’aide directe destinée à l’administration burundaise du président Pierre Nkurunziza sur la base de l’accord de Cotonou de 2000, qui lie les pays membres de l’UE et les 77 pays du groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), à un respect des droits humains et démocratiques.

Dérives

A l’occasion de la 33e assemblée parlementaire ACP-UE, les représentants européens ont tenté de faire adopter une résolution condamnant les dérives en matière de droit humain du pouvoir en place au Burundi. En vain.

« C’est une fois encore la même situation. Les pays africains refusent toute critique de la part de l’Europe concernant le respect des droits humains et la situation politique. Nous avons eu le même rejet en bloc lors de la dernière assemblée concernant la situation au Gabon », explique l’eurodéputé socialiste allemand Jo Leinen.

Après avoir proposé une première résolution condamnant la situation politique du pays rejeté par la majorité des pays ACP, les représentants européens ont tenté de proposer une nouvelle version de la résolution. « L’UE proposait d’envoyer une nouvelle délégation d’observation au Burundi pour témoigner de la situation et de reporter le vote d’une résolution à la prochaine assemblée. Cette proposition a également été rejetée », poursuit Jo Leinen.

« Il y a un véritable refus de la part des pays africains de recevoir des leçons de la part des pays européens en matière de droit de l’homme. Et ce même si certains pays condamnent l’attitude du Burundi », regrette l’élu européen.

Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza estime avoir été nommé par Dieu lui-même et brigue un troisième mandat inconstitutionnel. Et ce malgré les appels de la communauté internationale, qui ont officiellement réclamé le report des élections le 11 mai.

Ce rejet en bloc des propositions européennes n’est pas nouveau au sein de l’instance paritaire. Lors de la dernière assemblée, c’est le cas du Gabon qui avait fait l’objet d’un blocage similaire.

En décembre 2016, l’adoption d’une résolution commune sur la situation post-électorale au Gabon entre les parlementaires européens et ceux des pays ACP avait tourné court. Les députés européens avaient tenté de faire adopter un texte remettant en question le résultat des élections. De son côté, le Gabon avait vertement critiqué le manque d’indépendance de la mission d’observation européenne sur le processus électoral.

Faute d’accord avec les pays ACP, les députés européens avaient finalement adopté en janvier 2017 une résolution condamnant unilatéralement la situation gabonaise.

Tensions diplomatiques

Si la résolution européenne n’a pas été adoptée, celle proposée par le Burundi a également été rejetée par les députés. La résolution proposée par le Burundi « demande à l’Union européenne et aux Etats membres de tenir compte de toutes les performances réalisées par le gouvernement […] » et de « lever les sanctions prises contre le Burundi ».

Mais les tensions diplomatiques entre Bujumbura et Bruxelles avaient déjà atteint un pic un peu plus tôt dans le mois. Dans un communiqué du gouvernement burundais publié le lundi 5 juin, le gouvernement affirmait avoir pris connaissance « de la circulation d’un document portant sur la probable implication de l’Union européenne dans la déstabilisation des institutions républicaines du Burundi ».

Depuis que le président Pierre Nkurunziza a entamé son troisième mandat au pouvoir, l’Etat enclavé d’Afrique orientale est plongé dans des troubles civils qui ont fait 240 morts et ont forcé 250 000 personnes à fuir vers les pays voisins.

Les documents mentionnés par le Burundi sont ceux faisant état d’une probable intervention de l’Union européenne dans l’exfiltration de certains activistes burundais des droits de l’homme. De son côté, l’UE avait réfuté tout interventionnisme dans un communiqué publié le 8 juin, affirmant que les accusations étaient le fruit « d’une interprétation volontairement erronée d’un programme de soutien aux défenseurs des droits de l’homme ».

Conditionnalité de l’aide

Avec une aide globale de quelque 430 millions d’euros pour la période 2015-2020, l’UE est le premier donateur du Burundi. Et malgré la suspension de l’aide directe depuis plus d’un an, le dialogue avec le Burundi ressemble de plus en plus à un dialogue de sourds.

L’UE se sert depuis plus de vingt ans de l’aide au développement comme levier d’action en faveur des droits humains dans les pays du Sud. Une stratégie parfois mal perçue par les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Une situation récurrente dans les relations entre l’UE et les pays ACP, régies par l’accord de Cotonou. Adopté en 2000, cet accord encadre les relations entre l’UE et les pays ACP sur le plan politique, économique et du développement. Et un de ses pivots repose sur les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’Etat de droit, que les deux parties s’engagent à respecter.

« Nous n’allons plus pouvoir longtemps faire l’économie d’un débat de fond sur la question des droits de l’homme », reconnaît Jo Leinen. Le débat devrait d’ailleurs rapidement s’imposer dans l’agenda les pays ACP et européens, qui doivent débuter en septembre 2018 les négociations pour réviser l’accord de Cotonou.

Cet article est d’abord paru sur le site Euractiv.fr