Les centres de rétention, un outil pour gérer les campements et renvoyer les Albanais
Les centres de rétention, un outil pour gérer les campements et renvoyer les Albanais
Par Maryline Baumard
Dans un rapport sur la rétention administrative, les associations alertent sur les dysfonctionnements du système.
Vue générale du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot au nord de Paris, le 19 janvier 2008. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
L’histoire de Yazin est presque banale. Un dimanche de mars, cet élève de nationalité albanaise scolarisé en lycée professionnel à Suresnes (Hauts-de-Seine) est interpellé avec son père et son frère, lors d’un contrôle routier, alors qu’ils filent vers une brocante. Direction le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne ; un lieu qui « ressemble à une prison », comme le confie Yazin aujourd’hui, de retour à Paris après une expulsion en jet privé qui a coûté 40 000 euros à la France.
En 2016, les Albanais ont été la deuxième nationalité enfermée dans des CRA, relève le bilan annuel des cinq associations présentes dans les centres (Assfam, Forum réfugiés, France terre d’asile, Cimade, Ordre de Malte), rendu public mardi 27 juin. Ces voisins de l’Union européenne, qui n’ont pour l’heure pas besoin de visa pour venir à Paris, représentent à eux seuls 11 % des étrangers qui ont fréquenté un centre de rétention administrative durant l’année. Ils arrivent en deuxième position des nationalités les plus enfermées, derrière les Algériens (12,4 %). Interpellés le plus souvent parce qu’ils n’ont pas assez d’argent sur eux, pas d’assurance-maladie, comme les Roumains, qui bien qu’appartenant à l’UE peuvent aussi être renvoyés.
Dans 80 % des cas, les préfets parviennent à renvoyer les Albanais, dans 85,6 % les Roumains, ce qui rehausse la statistique administrative. Ainsi, alors que ses camarades de lycée finissaient de préparer leur CAP, Yazin a passé un mois en rétention avec son père et son frère. Sa mère et son petit frère sont restés terrés dans la chambre d’hôtel où tous se serraient avant cette séparation. Un beau matin, ils ont appris que les trois hommes de la famille étaient emmenés à l’avion et avaient refusé d’embarquer.
Ephémère victoire puisque le lendemain, c’est vers un jet privé qu’ils sont orientés. « On était cinq Albanais, il y avait dix policiers. Ils nous ont dit que de toute manière on repartirait et qu’il valait mieux qu’on ne résiste pas, alors on est montés », résume Yazin. Coût de l’opération : 30 000 euros pour la location du petit avion privé vers Tirana et quelque 10 000 euros si l’on adjoint la mobilisation des dix policiers escorteurs et le séjour des trois personnes pendant un mois en rétention…
« Pour la plupart, pas de recours »
Les associations notent dans leur rapport annuel combien le fatalisme du renvoi semble intégré par les ressortissants de cette nationalité. « La plupart ne font donc pas de recours contre leur enfermement ou leur éloignement, qui est ainsi exécuté beaucoup plus facilement qu’en moyenne », précise le document. Il faut dire que dans le Pas-de-Calais, 38 % des enfermements concernent des Albanais et qu’en Seine-Maritime ce taux monte même à 47 %. A Paris aussi, les Albanais sont des habitués de la rétention puisqu’en 2016 la moitié des éloignements a concerné des ressortissants de cette nationalité.
Aujourd’hui, Yazin est revenu en France. Il a terminé les examens de son CAP électricité, et attend les résultats. Son père a repris le travail et son frère cherche un employeur… Le retour express de sa famille est une illustration de la faillite du système, mais les statistiques de la Direction générale des étrangers en France sont peu bavardes et se gardent bien de mettre en lien les renvois et les retours, qu’il s’agisse des Albanais ou des demandeurs d’asile renvoyés en Italie, mais revenant en deux jours… souvent même avant les policiers escorteurs.
Pour en finir avec ce petit jeu très coûteux, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a annoncé, vendredi 23 juin, son souhait de voir réinstaurer des visas d’entrée dans l’Union pour les Albanais.
En France, en 2016, le taux moyen de renvoi a été de 32 % depuis les centres de rétention. Ce qui signifie que, hormis pour les Albanais et les Roumains, la rétention est utilisée à d’autres fins que l’éloignement. Les associations notent que nombre de migrants ont été enfermés en 2016 pour les éloigner des zones de campement. Alors que Bernard Cazeneuve voulait gommer la « jungle » de Calais, le centre de rétention de Coquelles (Pas-de-Calais) a vu ses effectifs augmenter de 12 % et celui de Lille de 24 %.
Lorsqu’il était ministre de l’intérieur, M. Cazeneuve a même utilisé des petits avions spécialement affrétés pour mettre en place une noria d’éloignements, loin de la frontière britannique. Tous ces enfermements « sans perspective raisonnable » d’un renvoi à l’étranger constituent un mauvais usage des CRA puisque la loi prévoit expressément que ces centres soient conçus pour éviter qu’un migrant ne disparaisse dans la nature le temps que son renvoi soit organisé.
A l’appui de cette analyse, un tiers du total des 45 937 personnes placées en rétention en 2016 ont été libérées par un juge (32,3 %). Les préfectures elles-mêmes, pressentant que le juge leur donnerait tort, et souhaitant s’épargner ce moment, ont rendu la liberté à 16,6 % d’entre eux, avant leur présentation au tribunal.
En fait, la pratique n’a pas vraiment changé par rapport à l’année 2015. Elle s’est aggravée du point de vue du nombre de familles et d’enfants enfermés (+ 70 % entre 2015 et 2016), mais l’équilibre s’est fait différemment. Les privations de liberté ont été plus nombreuses en outre-mer, moins nombreuses en métropole (– 13 %), du fait notamment de la mobilisation des forces de l’ordre sur l’état d’urgence qui a occupé les policiers à d’autres tâches.