TV : « Ashbal », les enfants perdus de l’Etat islamique
TV : « Ashbal », les enfants perdus de l’Etat islamique
Par Madjid Zerrouky
Notre choix du soir. Thomas Dandois et François-Xavier Trégan ont recueillis les témoignages rares d’anciens « lionceaux » du califat qui font écho au désarroi des adultes (sur Arte à 21 h 50).
Ashbal - Les lionceaux du califat - ARTE
Ils nous disaient que là-haut, il y aura des jouets, des voitures et des ordinateurs. Tout ce que tu veux. Et tu rencontreras tes parents au paradis. » A Sanliurfa, en Turquie, Moussa et Youssef, deux frères de 12 et 9 ans, se rappellent des « cours » de maniement de ceinture explosive et les repérages des lieux où ils devaient se faire exploser. Ce sont des anciens « lionceaux » du califat, ou « Ashbal », comme les appelle l’organisation Etat islamique (EI).
Si depuis le début de la guerre civile en Syrie, en 2011, tous les groupes armés ont eu recours à des enfants soldats, le groupe djihadiste a fait de l’endoctrinement des mineurs une politique planifiée et mise en œuvre à grande échelle dans les territoires conquis pour se perpétuer et perpétuer son idéologie. Dès 4 ans, et jusqu’à 16 ans, des enfants s’entraînent dans des camps, sont soumis à une propagande intense, confrontés à la mort et à la violence avant de partir au combat.
En Turquie et en Grèce, Thomas Dandois et François-Xavier Trégan (qui avaient réalisé Daech, paroles de déserteurs en 2016) sont partis à la rencontre de certains de ces enfants perdus, parfois livrés à eux-mêmes après avoir déserté ou s’être enfuis. Des témoignages rares : les petits Moussa et Youssef ; un ancien membre de 16 ans des services de renseignement intérieur de l’EI, aujourd’hui seul face à ses remords après avoir « dénoncé » et « égorgé » ; un « chanteur » de 15 ans, choisi par un émir du groupe pour la beauté de sa voix et qui semble regretter de n’avoir jamais combattu…
« Ashbal », de Thomas Dandois et François-Xavier Tregan. | © THOMAS DANDOIS
En écho, le désarroi des adultes. Un ex-rebelle de l’Armée syrienne libre se dit prêt à tuer l’enfant que l’EI filme en train d’exécuter un prisonnier : « Il a 4 ans. Cet enfant-là, je le croise, je le tue. A 10 ou 11 ans, ce sera un maître, il va entraîner d’autres enfants à faire pareil. Il ne peut pas être épargné. » Ou cet enseignant, qui résume la politique éducative du groupe : « Leur objectif n’était pas de les éduquer, mais de former une nouvelle génération de combattants en Syrie et à l’étranger. » Un réfugié désespéré par ses jeunes frères restés au pays, accros aux vidéos de propagande et qui simulent des décapitations pour passer le temps. Ou ce déserteur de l’EI qui décrit le résultat implacable de cette machine infernale : « Certains rejoignent le front sans même prévenir leurs parents. On ne forçait personne. Pour les opérations-suicides, il faut être volontaire. Ce sont surtout les enfants qui se faisaient avoir. »
Car même sans être encasernés, les autres enfants ne sont pas pour autant à l’abri de la propagande du groupe : dans la rue, à l’école (si tant est qu’elle fonctionne toujours), à la maison parfois.
Culte de l’ultraviolence
Ces récits croisés racontent une génération qui baigne nuit et jour dans le culte de l’ultraviolence et la haine. « Aujourd’hui, cela fait quatre ans que les enfants sont dans les rangs de Daech. Encore deux ans comme ça, et ils seront une vraie menace pour le monde entier », craint un ancien rebelle, comme pour rappeler que si l’EI voit les territoires qu’il contrôle se réduire jour après jour, personne n’en a fini avec le cauchemar qu’il imprime sur le tissu social.
Thomas Dandois et François-Xavier Trégan concluent leur film sur un constat glaçant : la plupart des enfants qui parviennent à échapper au groupe djihadiste se retrouvent livrés à eux-mêmes. Certains vivent actuellement en plein cœur de l’Europe, ignorés.
Ashbal, les lionceaux du califat de Thomas Dandois et François-Xavier Trégan (Fr., 2017, 55 min).