Varda et JR sur les routes de France
Varda et JR sur les routes de France
Par Mathieu Macheret
La réalisatrice octogénaire et le photographe-street-artiste filment leur balade de village en village.
Il y avait sans doute beau jeu d’ironiser sur l’alliance incongrue entre Agnès Varda, faiseuse d’images multisupports, et le photographe JR, réputé pour coller ses tirages monumentaux sur les parois du monde entier, pour ce qui semblait s’annoncer comme une simple bande autopromotionnelle vouée à mettre leurs travaux en avant.
A l’arrivée, Visages Villages, fruit de leur collaboration, financé en partie sur une plate-forme de financement participatif, est un objet beaucoup plus composite que prévu, ouvert aux quatre vents, s’évadant sans cesse du cinéma pour y revenir par la bande, offrant finalement une réflexion décousue sur le regard, cette sécrétion immatérielle de l’œil qui jaillit vers les autres et refaçonne le monde à sa guise.
Après une brève introduction, sous l’égide des peintures murales de Los Angeles que Varda avait filmées dans Murs, murs (1981), celle-ci embarque dans la camionnette de JR, et les voilà partis sur les routes de France, sans plan de bataille, pour dénicher des sujets à photographier et des façades à badigeonner.
Leur promenade improvisée les mène dans un coron du Pas-de-Calais, dans une usine chimique des Alpes, sur le port du Havre (Seine-Maritime) et dans un village fantôme de la Manche. Les projets de collages occasionnent une multitude de saynètes avec les habitants du coin, dont les portraits géants sont placardés sur les murs.
Une mémoire active
A l’image, l’octogénaire et le jeune histrion forment une sorte de duo comique se cherchant gentiment des noises : l’un taquine l’autre sur son âge vénérable et l’autre cherche à faire tomber les éternelles lunettes noires de l’un, pour filmer son regard, comme elle l’avait fait jadis avec Jean-Luc Godard dans Les Fiancés du pont Mac Donald (1961).
Le film navigue ainsi à vue entre reportage télé bucolique (parfois un peu gnangnan) et scènes où l’émotion cinématographique affleure inopinément, comme avec le carillonneur de Bonnieux (Vaucluse), dont les gestes occasionnent un montage ébouriffant, ou devant un blockhaus échoué de Sainte-Marguerite-sur-Mer (Seine-Maritime), repeint au souvenir du photographe Guy Bourdin (1928-1991), dont l’image sera bientôt emportée par la marée.
Visages Villages nous rappelle surtout qu’un film ne naît pas nécessairement d’un scénario, ni même d’un sujet préétabli, mais peut sortir de rien du tout, d’un geste, d’une idée, d’une balade dominicale – les collages géants servant surtout de dispositif transitoire pour collectionner les portraits passagers et les rencontres fugaces.
La beauté du film tient aussi au fait qu’il fonctionne comme une mémoire active, Varda ne cessant de puiser dans son passé de photographe ou dans ses archives filmées pour éclairer le présent. Au bout du chemin, quelque part dans le canton vaudois, se niche pourtant un souvenir plus ingrat que les autres, aux retombées véritablement bouleversantes, mais qui ne disqualifie en rien le plaisir de partir sans bagage à l’aventure.
« Visages Villages », documentaire français d’Agnès Varda et JR (1 h 29). A voir.