« Il y a une continuité entre la loi El Khomri et la réforme Macron sur le code du travail »
« Il y a une continuité entre la loi El Khomri et la réforme Macron sur le code du travail »
Par Michel Noblecourt
L’éditorialiste Michel Noblecourt a répondu a vos questions sur le projet de réforme du code du travail présenté mercredi 28 juin par Muriel Pénicaud, ministre du travail.
Réforme du code du travail : Muriel Pénicaud présente la philosophie de la réforme
Durée : 03:09
Le projet de loi d’habilitation a été présenté en conseil des ministres mercredi 28 juin par Muriel Pénicaud, ministre du travail. L’éditorialiste Michel Noblecourt a répondu a vos questions sur ce projet de réforme.
Alain du Morbihan : Peut-on dire que ce projet reprend les principales caractéristiques du projet de loi porté par Myriam El Komri ? S’inscrit-il dans la volonté d’Emmanuel Macron de réformer la France vers un modèle de « flexisécurité » à la danoise ?
Michel Noblecourt : Il y a en effet une continuité entre la loi El Khomri et la réforme Macron sur le code du travail dans la mesure où il s’agissait dans l’un et l’autre cas de donner la primauté aux accords d’entreprise. Mais la loi El Khomri ne concernait que le temps de travail. Cette fois il s’agit d’étendre cette forme de « flexisécurité » à tout le champ de la négociation sociale. Il y a une différence, c’est que la branche est réinsérée dans le dispositif et elle pourra interdire à une entreprise de déroger à une convention collective dans certains domaines.
Louis : Ce séquençage de la communication n’est-il pas une tentative de jouer la montre pour tenir jusqu’aux vacances afin de ne pas susciter de mouvements sociaux d’ampleur ?
Michel Noblecourt : Votre question sur la méthode est essentielle. Le gouvernement avait le choix entre deux formules : soit il se livrait à une consultation de pure forme sans bouger d’un iota son projet, soit il engageait une véritable concertation. C’est cette seconde option qu’il a retenue. Dès lors qu’il y a une concertation, il ne peut pas tout annoncer avant qu’elle ait eu lieu, sinon les discussions avec les syndicats deviennent sans objet. Comme le dit Jean-Claude Mailly (FO) dans Le Monde, le projet de loi d’habilitation des ordonnances est un menu : on ne peut pas choisir de plat en dehors du menu mais on n’est pas obligé de prendre tout ce qu’il propose.
Guillaume Lyon : Le référendum à l’initiative de l’employeur n’est-il pas un risque pour les syndicats de se voir marginaliser dans les entreprises ?
Michel Noblecourt : Vous avez tout à fait raison : un référendum à l’initiative de l’employeur fait courir aux syndicats un risque sérieux d’être marginalisé. La loi El Khomri prévoyait un référendum mais à l’initiative des syndicats minoritaires et non de l’employeur. En l’état, les intentions du gouvernement sur le sujet sont floues.
Julyseult : Le CHSCT va-t-il être supprimé ?
Michel Noblecourt : Le projet du gouvernement est d’aller plus loin que la loi Rebsamen et de fusionner les instances représentatives du personnel (comité d’entreprise, délégués du personnel, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans une délégation unique du personne (DUP). Dans ce cas de figure, le CHSCT en tant que tel serait supprimé. Les syndicats souhaitent que cette fusion puisse être empêchée s’ils s’y opposent par la voie d’un accord majoritaire. Par ailleurs, la DUP devrait conserver les prérogatives du CHSCT pour rester en justice sur les questions de santé et de sécurité.
DODO : Est-ce que cette réforme du travail va vraiment créer de l’emploi ?
Michel Noblecourt : Difficile de répondre à cette question. Plusieurs études, dont celle de l’Insee, ont montré que le code du travail n’était pas un frein à l’embauche. Le gouvernement fait le pari qu’en jouant la carte de la « flexisécurité », il va donner plus de souplesse aux entreprises pour créer de l’emploi et réduire le chômage. De toute façon il faudra attendre au moins un an après l’entrée en vigueur des ordonnances pour savoir si cela aura été efficace. C’est une des raisons pour lesquelles Emmanuel Macron veut aller vite.
Cipo : Le projet de réforme du code du travail prévoit-il également des changements pour les fonctionnaires ?
Michel Noblecourt : Non. Le code du travail ne concerne que les salariés du secteur privé et non les fonctionnaires, qui sont régis par le statut de la fonction publique.
Babel Maître : Si j’ai bien suivi, le gouvernement ne touche à aucun des fameux « six domaines réservés » de la branche, et en ajouterait même cinq autres (handicap, exercice des mandats syndicaux, paritarisme, régulation des contrats courts et CDI de chantier). Est-ce qu’il n’y a pas eu sur ce sujet un virage à 180° du gouvernement ?
Michel Noblecourt : Si virage il y a, c’est sur la réhabilitation de la branche. Le risque était que ce niveau soit zappé, comme cela avait été le cas avec la loi El Khomri. Le gouvernement envisage en effet d’ajouter des domaines réservés aux six déjà existants mais cela fait encore l’objet de discussions avec les partenaires sociaux. Il pourrait aussi maintenir une loi de 2004, jamais appliquée, qui permet à une branche d’interdire à une entreprise de conclure des accords dérogatoires sur des sujets qu’elle déterminerait.
K. : Bonjour, comment expliquez-vous la relative bienveillance affichée par les syndicats, CGT bien sûr, mais aussi FO et UNSA ? Y a t-il quelque chose derrière ? D’autres négociations sur d’autres chantiers ? Merci
Michel Noblecourt : vous avez raison, les syndicats, à ce stade, sont plutôt bienveillants, à l’exception de la CGT. Cela tient à deux raisons : ils ont d’abord le sentiment que le gouvernement se prête vraiment au jeu de la concertation et qu’ils peuvent faire bouger les lignes. En second lieu, ils savent qu’Emmanuel Macron a les moyens politiques de faire passer sa réforme même si à l’arrivée ils sont en désaccord. Et puis, en effet, d’autres négociations vont suivre sur la formation professionnelle, l’assurance chômage et ensuite les retraites.
Vincent81 : Le gouvernement ne peut-il pas envisager de passer la loi par référendum pour éviter les manifestations d’oppositions à la loi ?
Michel Noblecourt : Emmanuel Macron a annoncé clairement la couleur pendant sa campagne, il ne sera pas question de référendum.
Arthurax : Avec la réforme du code du travail, le syndicalisme devra t’il repenser ses modes de fonctionnement et sa façon de peser sur les débats sociaux présents et à venir ?
Michel Noblecourt : La réforme du code du travail va modifier les règles de la négociation sociale en France. Cette nouvelle donne va obliger les syndicats à revoir leur mode de fonctionnement de façon à être plus présents dans les entreprises et à mieux montrer à des salariés peu syndiqués leur utilité. Cela suppose aussi qu’ils bénéficient de moyens nouveaux pour faire face à ces changements.
Mendelou : La ministre a indiqué que les ordonnances seront soumises fin août. Pourquoi est-ce que cela prend autant de temps ?
Michel Noblecourt : Certains jugent que c’est un temps long… d’autres un temps court. Le Parlement doit examiner le projet de loi d’habilitation du 24 au 26 juillet. Les ordonnances doivent être présentées aux partenaires sociaux fin août. La CFDT a demandé qu’il y ait une réunion multilatérale entre toutes les organisations syndicales et patronales et la ministre du travail. Elles doivent ensuite être adoptées par le conseil des ministres le 20 septembre.
Bart : Bonjour, la CGT ayant d’ores et déjà annoncé qu’ils manifesteraient contre cette loi en septembre, vont-ils tout de même participer aux concertations avec la Ministre du Travail ? Merci pour vos réponses toujours pertinentes !
Michel Noblecourt : La CGT a décidé rapidement de se mettre hors jeu pour trois raisons. La première c’est qu’elle met en doute la légitimité d’Emmanuel Macron compte tenu du taux d’abstention aux législatives. La seconde est qu’elle considère que la concertation n’est qu’une « mascarade » et la troisième elle juge que cette réforme vise purement et simplement à « casser le code du travail ». Elle participe aux concertations mais dans le rôle du témoin muet. Le grand changement par rapport à la contestation contre la loi El Khomri c’est qu’il y a une rupture du front CGT-FO. La première a d’ores et déjà choisi une stratégie de harcèlement, qu’elle n’est pas sûre de pouvoir mener à bien, à travers des manifestations à répétition. La seconde joue à fond la carte de la concertation, en pensant qu’elle pourra faire bouger des lignes. FO a déjà obtenu, ce qui est fondamental pour elle, la réhabilitation de la branche pour encadrer, dans une certaine mesure, les négociations d’entreprise.