Dans le camp rwandais de Mahama, l’angoisse des réfugiés du Burundi
Dans le camp rwandais de Mahama, l’angoisse des réfugiés du Burundi
Par Pierre Lepidi (Mahama, Rwanda, envoyé spécial)
En deux ans, près de 400 000 Burundais ont fui le régime de Pierre Nkurunziza. A Mahama, hangars et maisons en dur accueillent 53 000 personnes.
Au bout d’une piste sablonneuse d’une quinzaine de kilomètres, le camp de Mahama, au sud-est du Rwanda, s’étire à perte de vue. « Créé il y a un peu plus de deux ans, il accueille aujourd’hui plus de 53 000 Burundais », affirme Noël Uwayezu, directeur adjoint du camp. Ces réfugiés ont fui les menaces, les exactions et les viols perpétrés par les Imbonerakure (« ceux qui observent de loin », en kirundi, la langue du Burundi). Ces miliciens à la solde du régime de Pierre Nkurunziza font régner la terreur au Burundi depuis avril 2015, date des premières manifestations populaires contre la volonté du président de briguer un troisième mandat.
Dans un nouveau rapport publié mardi 4 avril, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et ses organisations partenaires dressent un tableau alarmant de la situation dans ce pays frontalier du Rwanda : plus de 1 200 personnes auraient été tuées, entre 400 et 900 auraient été victimes de disparitions forcées et plus de 10 000 seraient encore détenues arbitrairement. « Toutes les composantes de l’appareil d’Etat et de la société civile sont soumises aux mêmes dynamiques répressives, perpétrées par un régime obsédé par la conservation du pouvoir à tout prix, précise le rapport. Nous appelons la communauté internationale à prendre la mesure de la gravité de la situation et appelons notamment la Cour pénale internationale à ouvrir, dans les plus brefs délais, une enquête sur les crimes commis dans ce pays afin d’identifier et poursuivre leurs principaux auteurs. »
La moitié des réfugiés sont des enfants
Près de 400 000 personnes ont fui le Burundi pour se réfugier dans les pays voisins. Au Rwanda, ils sont encore près d’une dizaine à arriver chaque jour et à tenter de contourner à leurs risques et périls les barrages dressés sur les routes et aux frontières par les miliciens. « Aujourd’hui, nous attendons un convoi qui doit amener du camp de transit de Gashora [au sud du Rwanda] 344 personnes, explique Noël Uwayezu, dont le camp est géré par le ministère rwandais chargé des catastrophes et des réfugiés (Midimar). A la base, Mahama avait une capacité initiale de 50 000 personnes, mais nous avons trouvé un peu de place supplémentaire. Près de 35 % des réfugiés vivent sous des hangars, les autres dans des maisons en ciment qui peuvent accueillir huit personnes. On doit accélérer le rythme des constructions. »
Dans le camp, qui s’étire sur 50 hectares à environ 180 km de Kigali, quatorze organisations non gouvernementales (HCR, PAM, Save The Children, Oxfam…) gèrent au quotidien la vie des réfugiés. Ce qui surprend quand on entre à l’intérieur du domaine, c’est le nombre de nourrissons : près de 50 % des réfugiés sont des enfants.
« Sur le plan sanitaire, la situation est bonne, déclare Estelle*, 25 ans, qui est l’une des premières arrivées en 2015. Il n’y a pas d’épidémie, pas de maladie. Le seul problème concerne le bois de chauffage qu’il faut aller chercher de plus en plus loin à l’extérieur du camp car il se fait rare. » Comme beaucoup ici, Estelle vivait dans un quartier de Bujumbura, considéré comme un fief de l’opposition : « Je vivais à Nyakabiga [connu comme le lieu où a débuté la contestation contre le troisième mandat] au centre de la capitale. Avec mes amis et mes voisins, on voyait que la police et les miliciens emmenaient des gens qu’on ne voyait jamais revenir. Certaines fois, des grenades et des bombes lacrymogènes éclataient toute la journée. J’ai eu peur, alors j’ai fui avec mon mari, ma sœur et mon enfant. Les nouvelles du Burundi sont mauvaises : des voisins m’ont dit que des miliciens occupaient aujourd’hui ma maison. »
« J’allais mourir »
Dans son rapport, la FIDH explique que la milice Imbonerakure, dont le rôle dans la répression s’est considérablement accru, est devenue le fer de lance du régime : « Plusieurs exemples – comme des vidéos montrant des dizaines de ses membres entonnant des chants pour appeler au viol des opposantes – montrent la radicalisation idéologique de cette milice. Une loi votée par l’Assemblée nationale en décembre 2016 pourrait conférer à ces hommes le statut de forces de réserve alors qu’ils sont aujourd’hui responsables de graves violations (meurtres, viols, tortures…) » relevant du droit international.
« J’ai quitté le Burundi en mai 2015, se souvient Stéphane*, un réfugié âgé de 33 ans. Dans l’entreprise où je travaillais, des hommes sont venus me menacer sans aucune raison, en me disant que si je ne militais pas en faveur du président, j’allais mourir. La plupart des manifestants que je connaissais ont été tués. Moi, je ne voulais pas prendre parti, alors j’ai préféré fuir. »
Ces derniers mois, des rumeurs ont circulé, faisant croire que des réfugiés du camp, opposants au président Nkurunziza, se prépareraient militairement à le renverser. « Personne ne s’entraîne ici, s’insurge Noël Uwayezu. Vous pouvez interroger qui vous voulez… Ici, les activités militaires et politiques sont totalement interdites. » « C’est complètement faux, répond Philippe*, un réfugié de 27 ans. Qui vous a dit cela ? Même si on le voulait, ça serait impossible. Et pourtant, je n’ai qu’un seul rêve : que la paix revienne dans mon pays pour que je puisse rentrer chez moi. » Estelle intervient : « Il y a des miliciens Imbonerakure qui s’infiltrent au Rwanda avec des réfugiés et qui repartent au Burundi en affirmant qu’ils ont suivi un entraînement militaire, raconte-t-elle. Beaucoup de gens en ont vu et moi-même j’ai reconnu un milicien dans le camp il y a deux mois. Mais le temps qu’on l’arrête, il avait disparu. »
* Tous les prénoms des réfugiés ont été modifiés.