En Côte d’Ivoire, divorce consommé au sein de la coalition présidentielle
En Côte d’Ivoire, divorce consommé au sein de la coalition présidentielle
Par Haby Niakate (contributrice Le Monde Afrique, Abidjan)
Depuis six mois, les tensions entre le parti d’Alassane Ouattara et ses alliés des Forces nouvelles de Guillaune Soro sont au plus haut.
Les fractures sont de moins en moins dissimulables. Près de deux ans après sa réélection, Alassane Ouattara voit la coalition qui l’a porté au pouvoir se disloquer. Depuis le début de l’année, les tensions entre son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) et ses alliés des Forces nouvelles (FN) – l’ancienne rébellion ivoirienne – sont au plus haut. Echanges d’amabilités par presse interposée, boycottage des réunions du RDR par les cadres FN, éviction le 12 juin d’un cadre FN de la primature pour un post Facebook... Rien ne va plus.
« Lorsque l’on divorce, on n’est pas obligés de rameuter tout le quartier pour l’annoncer. On peut se contenter de faire chambre à part dans la même maison », résume un cadre des FN. Mais, pour comprendre pourquoi le « couple » se délite aujourd’hui, un petit retour en arrière s’impose.
Grand amour
En 2011, Alassane Ouattara prend le pouvoir. Il gagne face à Laurent Gbagbo grâce à une grande alliance de son parti avec, notamment, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié et les Forces nouvelles de Guillaume Soro. Lesquelles comportent alors une branche armée, les Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) et une branche politique. Au lendemain de la crise, les FAFN sont dissoutes. Une partie des hommes rejoint l’armée régulière, l’autre est désarmée et démobilisée avec plus ou moins de succès. Quant à la branche politique, elle s’arrime au parti présidentiel, « l’allié naturel ».
C’est alors le grand amour. Du moins, en apparence. Guillaume Soro est reconduit premier ministre (poste qu’il occupait depuis 2007) et ministre de la défense. Son gouvernement compte, en plus de lui-même, quatre ministres, sur 36, issus des FN.
Aux législatives qui suivent, alors que certains FN se présentent en « indépendants », d’autres ont rejoint le parti présidentiel et se font élire sous son étiquette. Entre les deux camps, les lignes de démarcation sont floues, mais, dans l’euphorie de l’après-victoire, cela semble arranger tout le monde. L’appellation Forces nouvelles disparaît même du paysage.
Six ans plus tard, changement total d’ambiance. Guillaume Soro, qui est passé au perchoir de l’Assemblée nationale depuis 2012, a dû batailler pour imposer des députés FN dans la nouvelle Assemblée, fin 2016. Le gouvernement actuel, nommé en janvier 2017 par le nouveau premier ministre Amadou Gon Coulibaly, fidèle de Ouattara, ne compte plus aucun membre FN. Ni plus aucun représentant des petits partis membres de la grande coalition ayant porté Ouattara au pouvoir en 2011 et en 2015.
« Indésirables »
« Tout s’est passé comme si les FN devenaient, au fil des années, indésirables auprès du pouvoir actuel, son allié. Ce n’est pas une critique, c’est une constatation », explique Moussa Touré, directeur de communication de Guillaume Soro.
Le 12 juin, Alphonse Soro (sans lien de parenté avec Guillaume) « est » démissionné de son poste de conseiller chargé du travail et du dialogue social auprès du premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Motif ? Selon l’intéressé, qui s’exprime quelques jours plus tard sur Facebook : sa critique publique, sur le même réseau social, d’un éditorial polémique de l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique consacré à Guillaume Soro.
Interrogé par Le Monde Afrique, Alphonse Soro « assume » sa position. Membre des Forces nouvelles, il est aussi parenté par alliance à Amadou Gon Coulibaly. « C’est une question de dignité. Je ne peux pas accepter que l’on s’en prenne de la sorte au combat des Forces nouvelles, dit-il. Chacun est libre de porter des critiques contre qui il veut, mais pas sur ce terrain-là, pas sur la sincérité de notre lutte pour la reconnaissance des mêmes droits pour l’ensemble des Ivoiriens. »
Alors que la majorité des cadres (politiques comme militaires) des FN évoquent à tout bout de champ l’« ingratitude » de « ceux qu’ils ont mis au pouvoir », Alphonse Soro se veut plus prudent : « Nous ne nous sommes pas battus pour des postes. Notre but était d’obtenir des cartes d’identité pour nos parents et des élections démocratiques auxquelles toutes les forces politiques du pays pourraient participer. Ce que nous avons obtenu en 2010.» Sur le fait qu’il n’y ait plus de FN dans l’exécutif, il ajoute : « C’est en effet flagrant, mais c’est un choix de gouvernance et il faut en prendre acte, n’en vouloir à personne. »
Du côté du parti présidentiel, on avance surtout que l’on a « des preuves de déloyauté » du camp Soro envers le président Ouattara. Les mutineries de janvier et de mai, la découverte d’une cache d’armes au domicile de son chef de protocole, Souleymane Kamagaté, alias « Soul to Soul », dans la même période, en seraient des preuves formelles. « C’est du bidon ! », confie le même cadre FN amateur de métaphore. « La vérité, c’est que nous découvrons ce que beaucoup savaient déjà : M. Ouattara, l’ex-directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI), ne nous a jamais aimés. Il a fait avec nous parce qu’il le fallait bien... Nous, dont certains viennent de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, influent syndicat étudiant). Nous, qui ne venons pas des grandes familles. Nous, qu’il méprise et qu’il ne voit pas lui succéder en 2020. »
Guerre de succession
Car, en coulisse, c’est bien la succession de Ouattara en 2020 qui est en jeu. RDR, FN, les deux forces politiques sont sorties des entrailles du grand Nord de la Côte d’Ivoire et partagent le même électorat. Dans un pays où le régionalisme est roi, la question du prochain leadership du Nord sera primordiale.
Alors que vont faire les Forces nouvelles ? Se reconstituer ? Rompre avec le parti de Ouattara ? Former un parti politique pour porter une éventuelle candidature de leur chef Guillaume Soro à la présidentielle de 2020 ? « Il n’y a pas d’agenda en vue de constituer un parti politique. Les FN sont et resteront un mouvement politique », déclare Moussa Touré.
Une chose est sûre, l’enquête ouverte contre « Soul to Soul » et l’éviction d’Alphonse Soro semblent avoir réveillé un certain instinct de survie des FN : réunions régulières, retour au bercail de certaines personnalités pourtant en rupture de banc, telle Affoussiata Bamba Lamine, ex-ministre de la communication sous Ouattara...
Même s’il a refusé de répondre aux question du Monde Afrique, pour cause, dit-il, de « contexte trop propice à l’exploitation vicieuse de la petite phrase », le député de Man (ouest) et proche de Guillaume Soro, Sidiki Konaté, abonde : « Nous sommes sereins et ouverts à la discussion avec tous les acteurs politiques de ce pays. Nous resterons liés à la base, aux militants, et feront connaître nos idées. »
Participeront-ils au prochain congrès du RDR, qui devrait voir l’élection d’Alassane Ouattara à la tête du parti, puisque la révision constitutionnelle d’octobre 2016 le permet ? « En aucun cas », tranche le cadre FN qui a tenu à garder l’anonymat.