A Addis-Abeba, les dirigeants africains ont retardé leur déjeuner, en « solidarité » avec leurs frères affamés
A Addis-Abeba, les dirigeants africains ont retardé leur déjeuner, en « solidarité » avec leurs frères affamés
Par Emeline Wuilbercq (contributrice Le Monde Afrique, Addis-Abeba)
Bilan du dernier sommet de l’Union africaine en six chapitres : réforme, financement, jeunesse, retour du Maroc, médiation et famine.
Le ballet des berlines des chefs d’Etat et de gouvernement africains s’est achevé, mardi soir 4 juillet, à Addis-Abeba, en Ethiopie, où se tenait le 29e sommet de l’Union africaine (UA). Un sommet consacré à la jeunesse et à la réforme d’une institution en quête de souveraineté financière. Retour sur les points marquants de cette grand-messe africaine.
La réforme de l’UA, urgente et difficile
C’était l’un des thèmes phares abordés lors de ce sommet : la réforme institutionnelle chapeautée par le président rwandais, dont le principe a été adopté par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du sommet de janvier. Paul Kagamé a présenté un rapport d’étape à ses homologues.
Sur le fond, la plupart des Etats sont d’accord : il faut réformer une Union trop bureaucratique et souvent inefficace. Mais, sur la forme, ils sont nombreux à avoir émis des réserves : l’Afrique australe, la Tanzanie, le Kenya et les pays nord-africains. Certains reprochent notamment à Kagamé de « court-circuiter les organes réguliers de l’Union et le processus de décisions » en voulant faire adopter clés en main le document, souligne un observateur. Une unité de mise en œuvre de la réforme au sein de la Commission sera mise en place « incessamment », d’après Moussa Faki Mahamat, qui a regretté la « fâcheuse habitude » de prendre trop de décisions qui « s’entassent ». « La plupart d’entre elles finissent ensevelies dans les tiroirs. Cela nuit au crédit et à l’image de notre organisation », a déploré à la tribune le président de la Commission de l’UA.
En finir avec l’assistanat
Plus des trois quarts du budget de l’UA proviennent de bailleurs internationaux : c’est surtout l’Union européenne qui la finance, notamment ses opérations de maintien de la paix.
Pour esquisser leur indépendance financière et sortir de l’assistanat, les chefs d’Etat et de gouvernement ont adopté, en juillet 2016, lors du sommet de Kigali, le principe d’une taxe de 0,2 % sur les importations de produits non africains. Une taxe imaginée par l’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), le Rwandais Donald Kaberuka.
Cette taxe devrait permettre à l’UA d’obtenir environ 1,2 milliard de dollars (1 milliard d’euros) dès la première année de son application. Pourtant, un an plus tard, celle-ci n’a été adoptée que par dix Etats. Dernier en date : la Côte d’Ivoire. Elle suscite toutefois des inquiétudes de la part des gros pays importateurs, comme l’Afrique du Sud. Certains pensent que cette taxe est incompatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), d’autres craignent d’inquiéter leurs partenaires commerciaux hors du continent.
Coutumier des sorties médiatiques, Robert Mugabé, 93 ans, doyen des chefs d’Etat africains, a une nouvelle fois amusé la galerie lors du sommet. Au chapitre du financement, le président zimbabwéen a apporté sa contribution en annonçant avoir récolté un million de dollars grâce à la vente aux enchères de 300 vaches de son troupeau. Il a fait don de cette coquette somme à la Fondation de l’UA. Une manière originale de rappeler à ses homologues l’importance de « trouver des méthodes novatrices pour le financement de l’UA ». Et de faire oublier un instant le faste des réceptions qu’il organise chaque année à l’occasion de son anniversaire ?
Les jeunes à l’honneur, mais priés d’attendre
« La jeunesse constitue aujourd’hui 70 % de la population africaine », a rappelé le président guinéen Alpha Condé. Le thème de l’année à l’UA, c’est « tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans la jeunesse ». Un intitulé un peu pompeux qui veut prouver que l’institution souhaite replacer la jeunesse au cœur du processus de décisions. Lors du sommet, le président tchadien Idriss Déby Itno a présenté un rapport suite au Forum panafricain de la jeunesse organisé dans sa capitale, N’Djamena, en février. Parmi les recommandations des jeunes ayant peu de chances d’être mises en œuvre : la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, ratifiée par dix Etats seulement. Celle-ci déclare que toute révision de Constitution pour se maintenir au pouvoir constitue un « changement anticonstitutionnel de gouvernement ». La République démocratique du Congo fait partie des dizaines de pays n’ayant pas ratifié la Charte. Mais son président Joseph Kabila était bien présent, souriant, à Addis-Abeba.
Premier sommet pour le Maroc… et premier couac
Six mois après sa réintégration, le royaume chérifien a participé à son premier sommet aux côtés des 53 autres Etats membres de l’UA. Le conflit entre le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD), qui se disputent le contrôle du Sahara occidental, s’est invité dans plusieurs discussions. A l’issue de la grand-messe panafricaine, le ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita, n’a d’ailleurs pas caché sa satisfaction. D’une part, Rabat a obtenu qu’un passage qualifiant le Sahara occidental de « territoire occupé » soit supprimé d’un rapport de la Commission africaine des droits humains et des peuples, notamment grâce au soutien de 18 pays africains qui émettaient des réserves sur la terminologie. D’autre part, l’Assemblée des chefs d’Etat de l’UA a adopté une résolution appelant à apporter le « soutien approprié » au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, afin de trouver une solution au conflit. M. Bourita avait rappelé le « leadership » des Nations unies dans la gestion du dossier… Pas de l’Union africaine, donc, où les positions marocaines sont combattues par certains Etats membres.
Regain de tensions entre Djibouti et l’Erythrée
L’Union africaine peut-elle apaiser les tensions entre Djibouti et l’Erythrée ? Elle a en tout cas pris la décision d’envoyer une mission dans la capitale érythréenne, Asmara, conduite par le commissaire à la paix et à la sécurité, Smaïl Chergui. Cela fait suite à un regain de tensions entre les deux pays. En cause : un vieux contentieux à la frontière dans la zone de Ras-Doumeira sur la mer Rouge. Celui-ci est redevenu d’actualité quand le Qatar, qui assurait la médiation dans la région depuis 2010, a annoncé en juin avoir retiré ses troupes de la zone disputée. Ce retrait est intervenu en pleine crise du Golfe alors que l’Arabie saoudite et ses alliés ont accusé Doha de soutenir le terrorisme islamique. Djibouti et l’Erythrée, qui entretiennent de bonnes relations avec le royaume saoudien, avaient alors pris parti pour celui-ci. En 2008, des affrontements armés ont eu lieu à la frontière. Certains craignent donc une escalade des tensions. Aujourd’hui, Djibouti souhaite que l’UA s’occupe de la délimitation de la frontière. L’Erythrée, elle, estime que le Qatar doit rester le médiateur.
L’Afrique indifférente au drame de la famine ?
Le nouveau président de la Commission de l’UA a exprimé sa « profonde frustration face au silence et à l’inaction des Africains devant l’atroce drame de la famine dans les régions les plus touchées ». Le continent est frappé de plein fouet par une grave sécheresse, notamment dans la Corne de l’Afrique, dans le bassin du lac Tchad et dans le Sahel. « Que sont devenues les valeurs de fraternité et de solidarité africaines ? Où est passée notre société civile, où sont notre secteur privé et nos mécènes ? », s’est-il interrogé devant les chefs d’Etat et de gouvernement.
A la fin de la cérémonie d’ouverture du sommet, le chef d’Etat guinéen et président en exercice de l’UA, Alpha Condé, a donc proposé à ses homologues de patienter un peu pour déjeuner, compte tenu du retard pris sur le planning. En « solidarité » avec les frères africains qui ont faim.