A Mossoul, le 9 juillet 2017, les forces spéciales irakiennes combattent pour reprendre le contrôle des derniers quartiers de la vieille ville encore aux mains de l’EI. | LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Après une bataille de près de neuf mois contre l’organisation Etat Islamique (EI), la libération de Mossoul a été annoncée par Haïder Al-Abadi, le premier ministre irakien, dimanche 9 juillet. Si quelques poches de résistance de l’EI perdurent, la reprise de Mossoul – militairement parlant – est bel et bien actée. La perte de la ville ne signifie toutefois pas la disparition du groupe djihadiste, qui contrôle toujours une vaste bande territoriale le long de la vallée de l’Euphrate, à cheval entre l’Irak et la Syrie.

  • Depuis quand Mossoul était-elle aux mains des djihadistes ?

Au terme d’une offensive éclair menée entre le 4 et le 10 juin 2014, plusieurs centaines de djihadistes sont parvenues à prendre le contrôle de Mossoul, la deuxième ville d’Irak. Moins de trois semaines plus tard, le 28 juin, l’EI proclamait le « califat » sur les territoires conquis en Syrie et en Irak. Le 5 juillet, Abou Bakr Al-Baghdadi, l’autoproclamé « calife » de l’EI, faisait sa seule apparition publique filmée dans la mosquée Al-Nouri, au cœur de la vieille ville.

Deux ans plus tard, le 17 octobre 2016, le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, annonçait le début de l’opération de reconquête. Depuis le début de l’année 2017, les choses se sont accélérées avec, le 18 janvier, la libération de la rive est de Mossoul par les forces spéciales irakiennes ; le 19 février, le début de l’assaut contre la partie ouest de la ville ; et le 21 juin, la destruction de la mosquée Al-Nouri par les djihadistes.

C’est enfin le 9 juillet que le premier ministre Haïder Al-Abadi proclame la victoire dans Mossoul « libérée ». L’EI est ainsi vaincu « militairement », puisque la perte de Mossoul est un coup majeur porté à son projet de « califat ». Le projet de territorialisation et de construction d’un « Etat islamique » est ainsi en passe d’être contrecarré. C’est un revers territorial, humain (l’EI a sacrifié des milliers de combattants) et surtout économique : une ville comme Mossoul assurait – par les taxes prélevées – une véritable rente pour le groupe.

  • Quelles sont les forces qui ont assuré la reconquête ?

Les forces irakiennes ont bénéficié de l’appui décisif de la coalition internationale – frappes aériennes et soutien d’artillerie –, mais, au sol, ce sont elles qui ont dû aller se battre. Ce sont essentiellement les forces antiterroristes – dites « la Division d’or » – qui ont été décisives, au prix de pertes terribles. L’armée régulière, non préparée à ce type de combats, a subi d’importants revers dès lors qu’il a fallu qu’elle s’engage en milieu urbain.

Pour ce qui est de la police, notamment de la police fédérale, son rôle est controversé. Impliquée dans des exactions depuis le début de la reconquête gouvernementale, on l’a dit noyautée par les milices chiites, et les habitants, de fait, la craignent.

  • Cette défaite de l’EI était-elle attendue ?

L’EI a eu un millier de jours pour préparer la défense de Mossoul. Fin 2014, dès lors que la progression de l’EI en direction du Kurdistan et surtout vers Bagdad a été contenue et que la coalition internationale était entrée en action dans les airs et au sol, le groupe djihadiste savait que, tôt ou tard, il allait faire face à une opération de reconquête territoriale à son détriment.

Le groupe s’est dès lors attelé à freiner et à combattre la « remontée » des forces de Bagdad vers le nord (batailles de Fallouja, Ramad, Badji…) ainsi qu’à préparer la défense de Mossoul. Depuis un an et demi, l’EI avait acté sa défaite territoriale à venir. Son but est désormais, à des fins de propagande et pour préparer l’avenir, de démontrer sa capacité à résister à un adversaire appuyé par l’ensemble de la communauté internationale et dix fois plus nombreux que lui. D’écrire sa « légende », même dans la défaite.

  • Quels bilans humain et matériel peut-on tirer de cette bataille ?

Les forces militaires gouvernementales irakiennes au sol sortent exsangues de cette bataille qui a duré neuf mois – l’une des plus terribles batailles urbaines depuis des décennies. Si le bilan réel de leurs pertes relève du secret d’Etat, elles se comptent en milliers entre morts et blessés. Au début du printemps, le Pentagone estimait que la moitié des unités engagées à Mossoul n’étaient plus en mesure de combattre, ce qui va forcément avoir des répercussions sur la suite des opérations.

Quant aux pertes civiles, il est encore trop tôt pour en mesurer l’ampleur : plusieurs milliers de personnes ont perdu la vie dans les combats, sous les bombardements aériens, les tirs d’artillerie, comme sous les tirs de l’EI. Le mois dernier, diverses sources humanitaires parlaient de 2 500 à 4 000 morts. Par ailleurs, nous ne connaissons pas le nombre de prisonniers détenus par l’armée irakienne.

Même si des combattants de l’EI se sont rendus spontanément – en nombre très limité –, la majorité des prisonniers font partie de listes de personnes recherchées par les renseignements irakiens (sur la base de données dont nous n’avons pas accès) et de dénonciations d’habitants de Mossoul ou d’informateurs. Pour ce qui est des djihadistes français ou étrangers, le gouvernement irakien impose un black-out total.

Du côté des dégâts matériels, à Mossoul-Ouest, lieu de combats féroces depuis mi-février, les premières estimations font état de 55 % d’habitations endommagées ou détruites. A l’est, un secteur où l’EI a moins résisté, les zones détruites sont plus concentrées et localisées.

  • L’EI contrôle-t-il toujours des territoires ?

En Irak même, l’EI contrôle toujours des centres urbains, notamment la ville de Tal Afar, à 70 km à l’ouest de Mossoul et à une soixantaine de kilomètres de la frontière syrienne ; une importante poche au sud de Mossoul, dans la région de Hawija (province de Kirkuk).

Il maintient par ailleurs une importante présence dans la province d’Al-Anbar qui se prolonge en Syrie dans la vallée de l’Euphrate, dans la province de Deir Ezzor et dans toute une bande territoriale à cheval entre les deux pays. Une région qui est aujourd’hui son sanctuaire et dont on pense qu’il y a établi ses centres de commandement.

  • Quel avenir pour Mossoul et pour l’Irak ?

Outre le fait que l’EI reste présent dans le pays, il a paradoxalement, dans sa « défaite », atteint une partie de ses objectifs. Les forces gouvernementales irakiennes ont dû s’appuyer (au moins en deuxième rideau) sur des milices para-étatiques et confessionnelles – la mobilisation populaire à dominante chiite – pour accompagner leur reconquête, dont les populations locales se méfient et dont les exactions fragilisent toute stabilisation de la région.

Les partis chiites au pouvoir à Bagdad ne veulent pas entendre parler d’une autonomie, dans le cadre d’un Etat fédéral que réclament les élites sunnites de la province. Mais malgré sa posture centralisatrice, le gouvernement de Bagdad sort affaibli de ces trois dernières années. L’avenir de Mossoul et de cette région ne pourra se décider sans un accord politique avec le gouvernement régional du Kurdistan irakien (il a convoqué un référendum d’indépendance le 25 septembre) qui affiche ses ambitions d’annexer les territoires disputés à Sinjar, à Kirkouk, et de cogérer Mossoul. Qui va prendre le pouvoir ? Les prochaines semaines le diront, mais nous entrons dans une période de turbulences dangereuses.