« Il manque un volet au plan migrant : la gestion de la situation actuelle »
« Il manque un volet au plan migrant : la gestion de la situation actuelle »
Par Maryline Baumard
Maryline Baumard, journaliste chargée de l’immigration au « Monde », a répondu aux questions des internautes sur le « plan migrants » présenté par le gouvernement mercredi.
A Paris, le 10 juillet. | Michel Euler / AP
Le premier ministre Edouard Philippe a présenté, mercredi 12 juillet, le « plan migrants » du gouvernement. Une feuille de route qui prévoit, entre autres, la création de 12 500 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés d’ici à 2019. Maryline Baumard, journaliste en charge de l’immigration au Monde, a répondu aux questions des internautes sur le sujet.
Hophophop : Bonjour, à combien est estimé le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile présents en France ? A combien est estimé ce même nombre sans domicile fixe (non déjà hébergé dans un centre prévu à cet effet) ? Le nombre de 12 500 places supplémentaires parait dérisoire…
Maryline Baumard : En France, 86 000 demandeurs d’asile ont déposé un dossier en 2016. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) table sur 110 000 pour 2017. Globalement, un gros tiers obtient le statut de réfugiés.
Impossible de dire le nombre de SDF parmi les réfugiés mais il est bien moindre que celui des sans-papiers pour la simple raison que ces derniers n’arrivent pas à s’intégrer.
En fait, c’est surtout la période de transition entre le statut de demandeur d’asile et celui de réfugié qui pose problème. Le plus souvent, les demandeurs sont très encadrés, mais une fois réfugiés ils sont un peu livrés à eux-mêmes. S’ils ne maîtrisent pas bien la langue française, il leur est plus difficile de trouver un emploi donc un logement. Et c’est pour eux que 5 000 places d’hébergement transitoires vont être créées dans le plan annoncé ce jour par le gouvernement.
myPseudoName : Bonjour, quid des personnes dont la procédure a été refusée ?
Maryline Baumard : Aujourd’hui, lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas protégé par l’OFPRA, il peut déposer un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Si, à l’issue de cette procédure devant le tribunal administratif, il n’obtient toujours pas le statut de réfugié, alors il est débouté.
Trois solutions se présentent à lui :
- soit il repart dans le cadre des retours aidés montés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ;
- soit il se fond dans la nature et tente de rester en France sans papiers jusqu’à se faire régulariser sous un autre motif plus tard, par exemple par le travail ;
- ou alors il est renvoyé dans son pays. A l’heure actuelle seuls 3 % des déboutés sont renvoyés vers leur pays. Le plan annoncé par le gouvernement ce matin veut augmenter ce taux en mettant en place une « automatisation des transmissions d’informations en direction des préfectures » afin que ces dernières délivrent une obligation de quitter le territoire.
MC : Quelles mesures pour que la France cesse de reproduire à Vintimille ce que nous reprochons à la Grande-Bretagne de générer à Calais, à savoir une accumulation dans des conditions honteuses de personnes cherchant à demander l’asile dans notre pays. Les accords de Dublin ne devraient-ils pas être annulés comme certains propos du futur président le laissaient espérer lors de la campagne ?
Le plan annoncé ce matin par le gouvernement présente ce côté étonnant de ne s’intéresser ni à la situation de Calais, ni à celle de Paris, ni à celle de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes).
Comme l’a rappelé le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard : « On ne va pas reconstituer de camp, ces structures ne génèrent que des problèmes ». Le premier ministre a pour sa part précisé qu’il n’avait pas de solutions à offrir dans l’immédiat aux migrants qui campent dans les rues ou les fossés.
Tout le plan gouvernemental s’appuie sur deux points : d’une part la réduction du temps d’étude des dossiers des demandeurs d’asile et d’autre part l’idée qu’on peut « réduire les flux migratoires » par une diplomatie active vis-à-vis des pays limitrophes de l’Europe.
Olivier : Quelque chose est-il prévu concernant les politiques d’intégration (cours de français, accès au soin, accès aux droits, connaissance de la France, de ses lois,de ses principes républicains, etc) ?
Effectivement, comme le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron l’avait promis, des mesures pour l’intégration ont été annoncées ce midi. D’abord, les 200 heures de langue française – où des cours de droits civiques sont également dispensés –, que l’OFII devait enseigner à chaque nouveau réfugié vont être multipliées par deux. Et 5 000 places d’hébergement transitoires vont être créés d’ici 2019 pour ces nouveaux venus.
Pour revenir sur la langue, les réfugiés protégés en 2015 et 2016 ont souvent besoin de plus d’heures que de nombreuses personnes accueillies durant la décennie précédente car ils ne sont pas toujours allés à l’école dans leur pays d’origine. C’est le cas notamment de nombreux Africains qui ont toujours la guerre comme au Soudan, en Ethiopie ou encore en Erythrée.
Marie T : Quelles sont les autres mesures auxquelles nous pouvons nous attendre pour réduire les délais de procédure de demande ?
Pour réduire le délai de procédure, il va falloir créer trois types de postes. D’abord, des fonctionnaires dans les préfectures et à l’OFII, car ce sont eux qui sont en première ligne et qui enregistrent les dossiers. Ensuite, du personnel à l’OFPRA et à la CNDA qui instruisent les demandes d’asile.
L’OFPRA a déjà travaillé le sujet. La multiplication par deux de ses effectifs sous le quinquennat Hollande a permis de réduire de neuf à cinq mois le temps de traitement des dossiers. Ce délai, qui devrait être de trois mois avant la fin de l’année, devrait même passer à deux mois une fois mises en place les annonces d’Edouard Philippe.
En recrutant dans ces organismes, le délai total entre l’enregistrement d’une demande et la décision d’appel qui est aujourd’hui de treize mois en moyenne peut en théorie descendre à six. Rien n’est vraiment prévu dans le plan pour réduire la phase antérieure à l’enregistrement qui est celle durant laquelle les migrants dorment dans la rue comme à Paris.
Le premier ministre Edouard Philippe à Paris, le 12 juillet. | THOMAS SAMSON / AFP
Enki-enlil : Y aura-t-il une contestation de l’accord de Dublin stipulant qu’un demandeur d’asile doit retourner dans le pays où il a fait sa première demande ? Plus concrètement, la France continuera-t-elle à refouler des demandeurs d’asile de sa frontière ?
Absolument pas. On pourrait même dire au contraire car le gouvernement veut dans un premier temps accentuer les renvois des « dublinés ». Ceux-là sont des migrants qui ont laissé leur empreinte dans leur pays d’arrivée en Europe ; c’est ce pays qui doit logiquement étudier leur demande d’asile.
Dans son plan, le gouvernement prévoit pour eux la création de « pôles spécialisés dans la mise en œuvre de la procédure Dublin, dotés de moyens renforcés ». En clair, les « dublinés » seront plus souvent assignés à résidence. D’ailleurs, 1 000 places vont être créées d’ici fin 2017 pour cela. Le ministère de l’intérieur souhaite dépasser largement le cap des 10 % de renvois qui est aujourd’hui la norme au sein de cette population.
Le plan affirme tout de même que dans un second temps le gouvernement Philippe voudrait voir réviser le règlement Dublin pour « plus d’effectivité et de solidarité ».
Gege : Les migrants doivent être productifs et non parasites. Loger, peut-être ! Former, c’est mieux ! Stages divers : culture des champs, élevage et formation technique aux divers emplois qui ne trouvent point de bras.
Dans la pratique, les nouveaux réfugiés prennent effectivement les emplois non pourvus par les Français. Les exemples sont nombreux dans des secteurs comme le bâtiment mais aussi les abattoirs, la restauration ou les services de personnes âgées.
C’est vrai en France, c’est aussi très vrai ailleurs. Je viens de le voir en Italie au cours d’un reportage.
FredericM : Est-ce que le plan du gouvernement comporte une partie pour récupérer un comportement digne et humain ou bien les réfugiés vont-ils devoir attendre 2018 pour enfin avoir accès à de l’eau et à de la nourriture ?
Vous avez totalement raison. Il manque un volet à ce plan orienté vers l’avenir : on se demande où est la gestion de la situation actuelle. A Calais, les associations humanitaires rencontrent encore des problèmes pour distribuer de la nourriture et de l’eau.
Hier, des jerricanes d’eau ont été pollués par les forces de police avec des gaz lacrymogènes, et donc rendus impropres à la consommation. A Paris, la situation autour du camp humanitaire de la porte de la Chapelle, dans le nord, se dégrade à nouveau très rapidement. 551 personnes campaient à même le trottoir la nuit dernière alors que la 34e évacuation depuis juin 2015 a eu lieu vendredi dernier.
L’été risque d’être difficile, d’autant qu’entre 80 et 90 personnes entrent en France en ce moment chaque jour.
Méphistophélès : Pensez-vous que les places créées par le gouvernement seront suffisantes et permettront à terme de mettre fin aux camps et bidonvilles qui se recréent constamment par manque de place ?
Selon Gérard Sadik, responsable de l’asile à la Cimade, et sans doute un des meilleurs spécialistes du sujet, il faudrait 140 000 places d’hébergement pour que plus personne ne se trouve à la rue. On en est loin puisque aujourd’hui la France compte 80 000 lits pour les demandeurs d’asile.
Et une partie est utilisée par une population déjà réfugiée qui n’arrive pas à trouver un logement pérenne. Le plan du gouvernement qui prévoit 7 000 places d’ici 2019 – 4 000 en 2018 et 3 000 en 2019 – ne permettra pas de résorber le déficit actuel. La réduction du temps d’étude du dossier ou une hypothétique « régulation des flux », selon les mots du gouvernement, risque de ne pas baisser suffisamment pour que l’équation fonctionne.
Alexandre : Le gouvernement a-t-il déjà décidé où ces places d’hébergements seront situées ? Sur les moyens mis à disposition pour leur entretien et sur le financement de cette création ?
En ce qui concerne la répartition en France de ces places, la question est totalement prématurée. C’est toujours une négociation difficile des opérateurs de l’Etat avec les élus locaux. A ce titre, il manquerait même 1 000 places dans le plan conçu en 2015 par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, car des maires se sont dédits…
Pour le financement, le premier ministre a déclaré tout à l’heure en conférence de presse que ce plan n’était pas chiffré. Et que d’ailleurs à ses yeux, il serait bien difficile de chiffrer le coût du travail de la diplomatie française « pour réguler les flux ».
Victoria : Le gouvernement a-t-il évoqué les nombreuses plaintes de la part d’associations concernant les méthodes violentes employées par la police contre les migrant-e-s et demandeurs et demandeuses d’asile ? Va-t-il y avoir des mesures concrètes pour lutter contre ces violences et améliorer le traitement dans la dignité et dans le plein respect de leurs droits ?
Il a été très difficile de poser des questions à l’issue de la présentation de ce plan. Les réponses étant assez évasives sur la situation actuelle, personne n’est revenu clairement sur les violences policières autour de Calais.
Désabusée 75018 : Pensez-vous que ce soit à la mesure du problème ou une pirouette de plus ? L’Italie, en menaçant de fermer ses ports, pose la vraie question sur les rôles des associations dont l’objectif est certes de sauver des vies humaines, ces mêmes vies venant ensuite s’échouer en face du camp de migrants dans le 18e arrondissement ?
L’intitulé de la conférence de presse et du plan « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires » montraient une grande ambition. En définitive, le gouvernement a choisi de regarder vers l’horizon pour éviter de voir la dangereuse situation actuelle.
Les associations, elles, pallient les lacunes des Etats. Peut-on réellement leur reprocher de faire le jeu des passeurs quand elles sauvent des vies ? Est-ce que les politiques européennes elles-mêmes ne favorisent-elles pas un business de la traversée des frontières ?
Anthony : Comment se passe la procédure ? Quels sont les critères pour être accepté ou refusé ?
Pour obtenir un statut de réfugié, un migrant doit prouver que le pays dans lequel il vivait ne peut lui assurer une protection. Dans ce cas-là, il entre dans le cadre de la convention de Genève, et obtient le statut de réfugié qui lui donne le droit de résider pendant dix ans en France.
S’il est menacé parce qu’il vit dans une zone de conflit généralisé mais qu’il ne peut prouver qu’il est personnellement visé, il peut obtenir une protection subsidiaire. Dans ce cas-là, il aura droit à un titre de séjour d’une année, renouvelable éventuellement.
Lors de l’introduction de son dossier à l’OFPRA, le migrant doit y mettre un récit relatant son parcours et ses difficultés dans son pays d’origine. Ensuite il est convoqué par un officier de protection instructeur qui va l’entendre et lui poser des questions pour vérifier la véracité de ses propos. En cas de doute, il peut être convoqué une deuxième fois. Ensuite, il obtient ou non son statut par l’OFPRA. En cas de refus il lui reste la procédure d’appel devant la Cour nationale du droit d’asile.
C’est son dernier recours sauf si des éléments nouveaux permettent une réouverture du dossier.
Fred Montaigne : Le premier ministre a-t-il évoqué la dimension européenne de la crise des migrants ? Va-t-on aider l’Italie par exemple ?
Le premier ministre a en effet annoncé au cours de la conférence de presse « une plus grande solidarité avec nos partenaires européens ». Cela signifie globalement que l’Italie, qui se trouve confrontée de plein fouet avec la question migratoire depuis la fermeture de la route des Balkans (qui, elle, avait des conséquences pour la Grèce), doit être plus largement aidée.
Depuis janvier 2017, 85 000 migrants ont débarqué dans les ports italiens. Ils sont de plus en plus nombreux à rester dans la péninsule. D’ailleurs, les autorités italiennes ont menacé d’envoyer les bateaux des ONG qui viennent au secours des migrants dans la Méditerranée vers les ports français.