« Out of the Present » : le vertige d’un cosmonaute pris dans la révolution de la terre
« Out of the Present » : le vertige d’un cosmonaute pris dans la révolution de la terre
Par Mathieu Macheret
Le documentaire, qui ressort en salle, raconte la chute de l’URSS vue de l’espace.
Out of the Present (1995) raconte l’histoire incroyable, mais pourtant bien réelle, du cosmonaute Sergeï Krikalev, parti de l’Union soviétique en mai 1991 pour rejoindre la station Mir, et revenu au terme d’une mission de dix mois, en mars 1992, dans un pays qui s’appelle désormais la Russie. Une idée, un régime, un bloc, un monde se sont écroulés sous ses pieds, alors qu’il flottait en orbite à quelques centaines de kilomètres au-dessus de la Terre.
Bien qu’un tel récit éveille d’office un imaginaire de fiction, le film d’Andrei Ujica, qui ressort en version restaurée, se présente sous la forme encore plus vertigineuse d’un montage d’archives, issu d’un fonds de 280 heures d’images tournées par l’équipage de la mission spatiale Ozon. Ujica, intellectuel d’origine roumaine, installé en Allemagne depuis 1981, s’est illustré à plusieurs reprises dans ce type minutieux et patient de tissage cinématographique. Out of the Present s’inscrit ainsi, entre Vidéogrammes d’une révolution (1992), coréalisé avec Harun Farocki, et L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu (2010), au centre d’une trilogie qui s’attache à fonder un nouveau point de vue sur l’histoire contemporaine à partir des images officielles que celle-ci produit.
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Posant un regard radicalement décentré sur la chute du régime communiste, le film s’avère passionnant à plus d’un titre. Tout d’abord par la narration formidable qu’Ujica parvient à creuser au cœur des archives, comme une succession de départs et d’arrivées, d’accostages et de désamarrages, autour d’un groupe humain sans cesse chamboulé par la planification politique d’en bas. Ensuite, par ces plages d’irréalité qu’occasionne la présence humaine dans l’espace : situations d’apesanteur, danse des globes planétaires, illuminations et irisations solaires, vide intersidéral. Enfin, et surtout, par ce rapport d’échelles incommensurable entre la position des hommes en orbite, et ce monde d’en bas, agité des spasmes imperceptibles qu’on appelle « bouleversements » de l’histoire. Entre une révolution autour de la Terre et une révolution sur terre, quelle commune mesure ?
Andrej Ujica ne fait peut-être rien d’autre ici que vérifier par le montage la théorie d’Einstein à l’aune de l’expérience humaine : sur Terre ou dans l’espace, le temps historique ne se déroule pas de la même façon. Eprouver ainsi le vertige qui s’ouvre au-devant de Sergeï Krikalev est certainement l’une des expériences cinématographiques les plus sidérantes qui soient.
Documentaire allemand d’Andrei Ujica (1 h 36). www.facebook.com/cameliafilms/