Les étapes courtes sont (parfois) les meilleures
Les étapes courtes sont (parfois) les meilleures
Par Henri Seckel (Pau, envoyé spécial)
L’organisation du Tour fait le pari d’un concentré de course, avec trois cols sur 101 kilomètres vendredi 14 juillet.
Tony Gallopin (au premier plan) et Jan Bakelants, dimanche 9 juillet, lors de la 9e étape, entre Nantua et Chambéry. | Christophe Ena/AP
Les coureurs vont se croire revenus à leurs années juniors et les spectateurs de plus de 50 ans, à l’époque des demi-étapes, en vogue sur le Tour de France jusque dans les années 1970. De Saint-Girons à Foix, lors d’un vendredi 14 juillet 100 % ariégeois, le peloton disputera l’étape en ligne – hors épreuves contre la montre – la plus courte de l’édition 2017 : 101 kilomètres.
Etant entendu que les 95 bornes de la dernière étape « pour du beurre » du Tour 2011 et que la 9e étape du Tour 1996, 190 kilomètres entre Val-d’Isère (Savoie) et Sestrières (Italie) ramenés à 46 pour cause de neige, sont hors concours, il faut remonter jusqu’à la Grande Boucle 1989 pour trouver plus succinct. Laurent Fignon s’était imposé après 91 kilomètres entre Bourg-d’Oisans et Villard-de-Lans (Isère), trois jours avant le contre-la-montre qui lui fut fatal sur les Champs-Elysées.
« Ces dernières années, on a remarqué que les étapes de montagne courtes pouvaient donner des scénarios incroyables et occasionner des bouleversements, explique Thierry Gouvenou, l’homme chargé de dessiner le parcours du Tour de France. Sur une course de 200 kilomètres, les coureurs font rarement 200 kilomètres à fond. Une course de 100 kilomètres, c’est 100 kilomètres d’intensité. » Les trois difficultés de 1re catégorie à franchir – col de Latrape (5,6 km à 7,3 %), col d’Agnes (10 km à 8,2 %) et mur de Péguère (9,3 km à 7,9 %, avec des passages à 18 %) – promettent de faire du dégât.
« Pas le temps de digérer »
« Ça va être à fond du kilomètre 0 jusqu’à l’arrivée, estime le coureur français Tony Gallopin, qui a le profil pour briller sur un tel tracé. C’est souvent plus éreintant qu’une étape traditionnelle, où il y a une bagarre pour prendre l’échappée, avant une période de transition d’une ou deux heures où on peut récupérer, s’arrêter pour faire pipi, boire, manger. Là, on ne prend presque rien dans les poches : deux bidons, trois gels et rien de solide, parce qu’on n’a pas le temps de mâcher et de digérer. »
Il y a encore vingt ans, on assistait à d’infernales étapes de montagnes de 250 bornes. C’est terminé. « Que, dans la modernité du moment, on veuille proposer une étape punchy, c’est bien, juge Marc Madiot, manageur plutôt conservateur de la FDJ. Mais il ne faut pas oublier que ces étapes courtes ne sont déterminantes que parce qu’avant, il y a eu des étapes de grand fond pour user les moteurs. Si tu mets une étape comme ça en début de Tour, ça ne sert à rien. »
Les 215 kilomètres de la veille, entre Pau et Peyragudes, auront essoré pas mal de guiboles. « Si on n’a pas bien récupéré du chantier de la veille, ça peut être dramatique », prévient Nicolas Portal, directeur sportif de l’équipe Sky, dont le leader Chris Froome estime que « sur le papier, l’étape de Peyragudes semble plus décisive ; mais on a vu par le passé que ces étapes de 100 kilomètres pouvaient donner lieu à des coups de théâtre ».
« Ne pas s’affoler dès que ça bouge »
Le maillot jaune, en quête d’un quatrième sacre à Paris, sait de quoi il parle. Il a sans doute perdu le dernier Tour d’Espagne, en septembre 2016, lors de la 15e étape : 118 km qui l’avaient vu concéder plus de deux minutes trente à Nairo Quintana, finalement vainqueur à Madrid, avec près d’une minute et demie d’avance sur le Britannique.
Les Sky risquent de subir, vendredi, des attaques en rafale. « Si on est toujours en jaune, l’idée sera de contrôler et de ne pas s’affoler dès que ça bouge, détaille Nicolas Portal. Mieux vaut perdre deux minutes dans la première montée mais rester calmes et soudés, avec sept ou huit coureurs pour faire les cinquante derniers kilomètres, plutôt que d’essayer de suivre à une minute mais de ne plus avoir que deux coureurs avec Froome, puis plus qu’un, puis “Froomey” tout seul à 70 kilomètres de l’arrivée. »
Ces étapes courtes, nerveuses donc télégéniques, sont amenées à devenir un rituel ponctuel dans les grands tours, mais pas plus. « Ça paraît parfois un peu long à la télévision, mais il faut garder à l’esprit l’ADN du vélo, qui est un sport d’endurance, rappelle Thierry Gouvenou. Avec plus d’étapes courtes, on perdrait cet ADN, et ce serait un jeu de massacre. »
L’étape ariégeoise a des chances d’en être un pour les grosses cuisses du peloton : la course va être vive, les vainqueurs du jour potentiels vont partir comme des dératés. Si les plus lents sont lâchés dès la première ascension, comme on peut s’y attendre, ils risquent de vivre un après-midi stressant, avec voiture-balai à leurs basques et perspective d’une arrivée hors délai.