Anne Hidalgo : « Les Jeux, ce n’est pas un sujet manichéen »
Anne Hidalgo : « Les Jeux, ce n’est pas un sujet manichéen »
Propos recueillis par Yann Bouchez
La maire de Paris aborde la dernière étape de la course aux Jeux olympiques « avec confiance et beaucoup d’optimisme ».
Le maire de Los Angeles, Eric Garcetti, le président du CIO Thomas Bach et Anne Hidalgo célèbrent le vote de la double attribution des Jeux 2024 et 2028, mercredi 12 juillet. | FABRICE COFFRINI / AFP
Le Comité international olympique (CIO) a voté, mardi 11 juillet à Lausanne, le principe de la double attribution des Jeux de 2024 et 2028. Paris et Los Angeles, les deux seules villes candidates, doivent désormais trouver un accord avec le CIO. La capitale française est pressentie pour obtenir l’édition de 2024.
La maire de Paris Anne Hidalgo, qui évite les questions concernant 2028, explique notamment pourquoi elle n’a pas souhaité de référendum sur la question des Jeux et comment sa position a évolué sur le sujet ces dernières années.
Mardi en fin d’après-midi, après le vote du CIO sur la double attribution des Jeux de 2024 et 2028, vous avez dit votre satisfaction. Mais on vous a sentie sur la réserve. Pourtant, le suspense semble réduit à néant, avec cette double attribution des Jeux 2024 et 2028, le fait que Paris campe sur l’édition 2024 et que Los Angeles avait déjà entrouvert la porte à 2028…
L’histoire n’est pas encore totalement terminée. Tout cela doit se passer sous l’égide du CIO, c’est dans ce cadre que doit se faire l’accord tripartite. Il reste encore des choses à écrire. Dans la vie sportive, la vie politique, tant que les choses ne sont pas décidées, terminées, il faut garder cette lucidité sur ce qui pourrait se passer et empêcher d’écrire cette histoire.
Mais objectivement, aujourd’hui, on entre dans cette dernière étape avec confiance et beaucoup d’optimisme, parce qu’on aura réussi à ramener les Jeux à Paris. C’est quand même quelque chose qui paraissait difficile, ce n’était pas simple de se relever après plusieurs échecs.
Le président allemand du CIO, Thomas Bach, parle d’un « accord gagnant-gagnant-gagnant ». Vous-même, comme Los Angeles, avez adopté cette expression. Mais cette sortie par le haut ne masque-t-elle pas l’échec du CIO à séduire des villes moyennes pour candidater aux Jeux ?
C’est plutôt un succès du CIO d’avoir compris qu’aujourd’hui les maires n’étaient pas tous prêts à prendre les risques pour s’engager dans une candidature. En Europe, nous restons les derniers survivants. Les autres ont arrêté à cause de référendums, tout comme Boston. Paris et Los Angeles n’ont pas organisé de référendum, même si on a fait beaucoup de consultations et de concertations et que nous savons que nous avons un soutien très fort de nos populations.
Le CIO a compris ce qui était en train de se passer et la nécessité de proposer un cadre dans lequel il accompagne les choix courageux des deux derniers maires qui restent en compétition l’un face à l’autre.
Mais pour la première fois depuis trente ans, il n’y avait que deux villes candidates, après de nombreux retraits.
Les confusions du monde, les situations locales, les risques pris par les maires amènent à prendre en considération des réalités. Le fait que le CIO prenne en considération le monde réel, celui que nous vivons, c’est plutôt une marque d’intelligence.
Pourquoi ne pas avoir organisé un référendum sur la question des Jeux à Paris ?
D’abord parce qu’un référendum vous y répondez par oui ou par non. Le sujet est plus complexe que cela. Si on me demandait d’organiser des Jeux qui ne soient ni écologiques, ni transparents, ni sobres sur le plan du budget et pas utiles à la population, je serais la première à dire que je n’en veux pas. En revanche, des Jeux qui vont être utiles car ils vont transformer la Seine-Saint-Denis, donner un espoir à la jeunesse, permettre d’accélérer la transition écologique, notamment rendre la Seine propre, et enfin sobres budgétairement, j’en rêve.
Il y a ceux qui disent : « Ce n’est pas vrai. » Je suis un peu plus experte en gestion budgétaire qu’un certain nombre de commentateurs. Le budget de ma ville, c’est 8 milliards d’euros et je suis tenue à l’équilibre. Ceux qui viennent nous dire qu’on ne saurait pas faire, je les renvoie à leurs chères études, et moi à ma pratique.
La question « oui ou non » sans nuance ne permet pas le débat. Les Jeux, ce n’est pas un sujet manichéen. Il est plutôt intéressant de voir que, dans tous les sondages, les jeunes veulent les JO. Faisons confiance à la jeunesse. On sera la seule génération vivante à avoir une expérience de Jeux à Paris.
Selon un sondage réalisé récemment par le CIO, 68 % des Parisiens sont favorables à Paris 2024. Mais 14 % se déclarent sans opinion et, surtout, 23 % y sont opposés. Croyez-vous encore pouvoir les convaincre ? Et si oui, avec quels arguments ?
Bien sûr. D’abord en parlant, en discutant, puis au retour de Lima, en les associant. Avec leurs exigences, leur lucidité, ils sont là pour nous rappeler que ces Jeux doivent être utiles, pour nous rappeler à nos responsabilités. Plus que les convaincre, je veux les entraîner.
La 130e session du CIO à Lausanne a été marquée par la venue du président Emmanuel Macron. | Jean-Christophe Bott / AP
Fin mai 2014, lors d’une conférence de presse avec Bill de Blasio, le maire de New York, vous déclariez, à propos des Jeux : « Je n’ai pas porté ce projet dans ma campagne. Les Parisiens attendent de moi (…) du logement, des équipements, de la justice, de la facilité économique. » Et vous ajoutiez : « Aujourd’hui nous sommes les uns et les autres dans des contraintes financières et budgétaires qui ne permettent pas de dire que je porte cette candidature. » Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis depuis ?
Pendant la campagne de 2014, nous avions décidé, et c’était aussi le cas de mon opposante [Nathalie Kosciusko-Morizet], avec le CNOSF [Comité national olympique et sportif français], que nous ne ferions pas de la question des Jeux olympiques une question de campagne municipale parce que c’était la meilleure façon de ne pas pouvoir la porter après.
On l’avait décidé et je m’y suis tenue. Ensuite, pour moi, l’idée de repartir sur une nouvelle candidature devait se faire à plusieurs conditions : des Jeux écologiques, utiles, sobres. Notre mission, c’est d’abord rendre service à une population. Je me suis employée à cela. Y compris à freiner les ardeurs, au début, de celles et ceux qui voulaient absolument être encore une fois candidats, sans même se poser la question du pourquoi. J’adore être candidate, mais ce n’est pas une finalité en soi.
J’avais partagé ce questionnement avec deux personnes qui comptent beaucoup à mes yeux, Guy Drut et Jean-François Lamour. J’ai vu ce que ça faisait quand on perdait. Que ces deux grands sportifs de très haut niveau soient le pied sur le frein à ce moment-là, vous ne partez pas bille en tête en disant : « Allez les gars, on va gagner ! » Soyons raisonnables et sérieux.
J’assume ces propos et je les tiendrais de la même façon si la candidature n’avait pas été construite comme je souhaitais qu’elle le soit, c’est-à-dire en répondant à ce besoin d’utilité pour les populations. Il y aura du logement. Les deux villages, celui des athlètes et celui des médias, à votre avis, pourquoi sont-ils en Seine-Saint Denis, comme la piscine ? Je voulais que ce soit là (dans ce département) et que ça ait de l’impact.
Beaucoup des opposants aux Jeux craignent une explosion du budget [initialement fixé à 6,2 milliards d’euros, Paris 2024 l’estime désormais à 6,6 milliards]. L’historique des précédentes éditions montre que c’est souvent le cas. Le fait que les villages des athlètes et des médias ainsi que le centre aquatique soient encore à construire peut renforcer ces craintes. Quelles garanties avez-vous que les coûts ne seront pas dépassés ?
D’abord on sait faire, quand même. Quand j’étais adjointe chargée de l’urbanisme, j’ai mis 10 % du territoire parisien en aménagement. Je sais tenir des délais et des budgets. Par ailleurs, ce village va être construit sur un mode public-privé. Une partie des logements seront des logements publics, des logements sociaux. Une autre partie sera de l’accession à la propriété. Il y aura des équipements. L’équilibre d’opérations sera respecté.
Bien sûr qu’il faut être très attentif. Il va y avoir une gouvernance extrêmement resserrée. J’en fais un point d’honneur, de professionnalisme et de respect de la parole que je donne aux Parisiens.
La question, pourtant essentielle, de la sécurité n’est pas budgétée. Elle risque de s’annoncer très coûteuse. N’aurait-il pas fallu l’intégrer dans l’enveloppe ?
Elle est dans le budget de l’Etat.
Mais elle n’est pas prise en compte dans le budget olympique, alors que les demandes en termes de dispositif sécuritaire seront importantes…
Cela fait partie des charges générales, et c’est le même sujet pour Los Angeles. Tout événement international amenant des personnes à venir sur notre territoire fait l’objet d’une sécurité particulière, avec les moyens mis en œuvre notamment par l’Etat, plus des budgets qui sont aussi alloués par les organisateurs. Non, ce n’est pas un sujet.
Si Los Angeles, Paris et le CIO parviennent à un accord tripartite en août, comme c’est très probable, organiser une session à Lima pour une simple ratification de l’accord vous paraît-il nécessaire ? Ce voyage au Pérou, ne serait-il pas contraire aux objectifs affichés du CIO dans son Agenda 2020, à savoir l’écologie et la sobriété dans les dépenses ?
Je pense qu’on aura besoin d’un vote du CIO à Lima pour valider l’accord qui, je l’espère, sera trouvé. J’adorerais une présentation conjointe avec Los Angeles.
Il y a déjà eu une session à Lausanne du 9 au 12 juillet, pour valider la double attribution, tout cela est coûteux…
On pourra alléger, bien évidemment. Cela ne veut pas dire donner moins de force à cet accord et à la décision historique qui, je l’espère, sera prise à Lima.
Si Paris, Los Angeles et le CIO ne parvenaient pas à un accord d’ici à la session de Lima, et que vous perdiez face à Los Angeles l’attribution des Jeux 2024, Paris sera-t-elle candidate à l’édition 2028 ?
Je ne suis jamais dans les scénarios catastrophe.