Le projet d’Yisrael Katz, ministre israélien du renseignement et des transports : une île de 530 ha environ, avec un port commercial et civil, reliée à la bande Gaza par un pont de 4,5 km. | Reuters

En ce moment, Yisrael Katz ne se déplace pas sans sa clé USB. Le ministre du renseignement et des transports israélien l’a encore utilisée lors d’une rencontre avec la presse étrangère, à Jérusalem, le 10 juillet. Elle lui permet de montrer à ses différents auditoires l’un de ses grands desseins : la construction d’une île artificielle au large de la bande de Gaza, avec un port commercial et civil.

La vidéo commence par une vue spatiale du globe terrestre, sur un air entêtant de violons. Puis on zoome sur le Moyen-Orient, et enfin sur un bout de territoire au bord de la Méditerranée : Gaza. Ces images ont été diffusées à la mi-juin aux ministres israéliens siégeant au sein du cabinet de sécurité. La réunion avait pour objet la détérioration humanitaire dans le petit territoire palestinien sous blocus. Yisrael Katz voulait ainsi interpeller ses collègues et leur soumettre, une nouvelle fois, le projet qu’il promeut depuis sept ans. Les auditeurs étaient attentifs car conscients de la gravité du moment. Depuis plusieurs semaines, les spéculations sur un nouveau conflit entre le Hamas et Israël étaient relancées. En cause : une crise énergétique terrible, suscitée par l’Autorité palestinienne pour mettre sous pression le mouvement islamiste armé du Hamas qui contrôle Gaza depuis 2007.

Une centrale électrique, une piste d’aéroport…

Dans la simulation vidéo, on voit à quoi ressemblerait l’île, reliée à la terre par un pont de 4,5 km. Elle comporterait toutes les infrastructures portuaires nécessaires pour le commerce et le transport de passagers, mais aussi une centrale électrique, une usine de désalinisation de l’eau et, dans un avenir plus lointain, une piste d’aéroport. Le financement est estimé à cinq milliards de dollars. Il serait entièrement privé, explique Yisrael Katz, qui mise sur un chantier de cinq ans et un droit d’exploitation de vingt-cinq ans accordé à des compagnies étrangères intéressées par les infrastructures.

Israeli Intelligence Minister promotes plan for artificial island off Gaza Strip

« Il faudrait que les pays du Golfe participent à cette initiative, a-t-il dit au Monde. Ce serait le début d’une normalisation avec Israël. » En revanche, l’état hébreu « resterait responsable de la sécurité en mer avec un droit de veto sur les navires pouvant approcher. On assurerait aussi les vérifications sur les conteneurs dans le port. » Selon le ministre, une « police internationale », au profil flou, serait déployée sur le pont, aux contrôles de sécurité où passeraient les Palestiniens. En cas de crise ou d’éruption de violence, il suffirait de fermer le pont pour rendre le site inopérationnel. « Il n’y aurait sur cette île ni drapeau israélien ni palestinien, puisqu’il s’agirait d’un nouveau territoire, explique Yisrael Katz. Aucun fils d’Abraham ne pourra prétendre que Dieu le lui avait promis. »

« L’île ne peut être la solution miracle. Elle ne ferait que renforcer le contrôle israélien sur Gaza. » Shai Grunberg, porte-parole en Israël de Gisha, Centre juridique pour la liberté de mouvement.

La création d’une telle île nécessiterait, selon le responsable israélien, l’adoption d’une résolution préalable au Conseil de sécurité de l’ONU. La construction d’un port moderne à Gaza est débattue, sans effet, depuis les accords d’Oslo en 1993. Le blocus maritime, imposé en 2007, est justifié jusqu’à ce jour par des considérations sécuritaires, Israël voulant empêcher l’acheminement d’armes à destination du Hamas.

À l’origine, l’idée d’une île artificielle a été accueillie avec beaucoup de scepticisme. Côté israélien, certains redoutaient que l’armée ne perde le contrôle sécuritaire sur les entrées de marchandises. Côté palestinien, on soupçonnait une manœuvre dilatoire, afin de prolonger indéfiniment l’occupation. Une mesure interprétée comme relevant d’une punition collective.

« L’île ne peut être la solution miracle, souligne Shai Grunberg, porte-parole en Israël de Gisha, Centre juridique pour la liberté de mouvement. Elle ne ferait que renforcer le contrôle israélien sur Gaza et aggraver la séparation avec le reste du territoire palestinien, la Cisjordanie. La priorité devrait être de mettre un terme à la fermeture de Gaza et d’autoriser la circulation des biens et des hommes vers la Cisjordanie. » L’ONG souligne qu’avant 2007, 85 % des biens produits à Gaza étaient destinés au marché de Cisjordanie.

L’autre réserve concerne l’implication éventuelle des pays arabes, aujourd’hui accaparés par l’affrontement avec le Qatar. Sans avancée politique entre Israël et les Palestiniens, qui prendra le risque d’investir dans un tel projet ? Mais Yisrael Katz, lui, pense que l’île artificielle permettrait à son pays de sortir d’un statu quo dévastateur et de répondre à son absence de stratégie à long terme. « J’ai commencé à réfléchir à cette question en 2010 à cause d’un problème : notre retrait de la bande de Gaza [en 2005] a échoué, explique le ministre. L’Egypte a refusé de prendre la responsabilité du territoire. Au début, l’appareil sécuritaire était contre l’île. Le point de basculement a été l’opération “Bordure protectrice”, en 2014. Depuis, j’ai senti un changement d’atmosphère. » Yisrael Katz imagine qu’une telle initiative, dès son annonce, pourrait contribuer à une évolution majeure à Gaza, mais aussi dans le contexte régional. « Et puis c’est, moralement, la chose juste à faire, poursuit-il, pour soulager la population et lui offrir une porte vers le monde. »

Aujourd’hui, le ministre assure que la possibilité d’une île fait consensus. « Tous les membres du cabinet de sécurité et les responsables militaires soutiennent le plan, à part Lieberman », précise-t-il. Le ministre de la défense estime en effet qu’il s’agirait d’une récompense pour le Hamas, qui devrait d’abord déposer les armes. Selon un autre participant à la réunion du cabinet de sécurité, M. Lieberman « a explosé de rage » après la projection de la vidéo. Mais c’est surtout la réaction de Benyamin Nétanyahou qui a marqué les esprits : le premier ministre a exprimé son irritation avant de détourner la conversation. Sans condamner l’idée ni la soutenir.