Ismaël Lo : « En Afrique, il est anormal de jeter un citoyen en prison pour avoir critiqué le chef de l’Etat »
Ismaël Lo : « En Afrique, il est anormal de jeter un citoyen en prison pour avoir critiqué le chef de l’Etat »
Propos recueillis par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique, Essaouira, envoyé spécial)
A l’occasion du Festival gnaoua d’Essaouira, le Sénégalais défend le rôle de la musique dans la mobilisation contre l’extrémisme religieux sur le continent.
Le musicien sénégalais Ismaël Lo, l’une des têtes d’affiche de la 20e édition du Festival gnaoua et musiques du monde qui s’est achevée le 2 juillet à Essaouira, au Maroc, explique au Monde Afrique le rôle et la place de la musique dans la mobilisation contre la menace terroriste en Afrique. Pour lui, cette lutte passe aussi par un effort d’humilité de la part des présidents africains.
Face à la menace terroriste pressante et à la montée de l’extrémisme violent, notamment en Afrique de l’Ouest, quel peut être votre rôle ?
Ismaël Lo Nos chansons sont écoutés autant par les plus hauts dirigeants que par le citoyen lambda, ce qui nous donne la possibilité de nous adresser à toute la société. En Afrique, dans le contexte actuel exacerbé par le terrorisme, les intolérances religieuses et politiques, la haine gratuite et meurtrière, notre rôle est d’apaiser les cœurs et de prêcher les valeurs de partage et du vivre-ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’un artiste musicien comme moi et bien d’autres faisons depuis très longtemps.
En prenant mon répertoire, vous verrez que j’ai toujours prêché la paix, que je me suis toujours considéré comme un « poseur de ponts » entre différents peuples et civilisations du monde. Je vous donne un exemple très précis : en 1989, j’avais chanté J’aime Africa, un tube dans lequel j’appelais à l’unité africaine. Bien plus tard, quand l’Union africaine a été lancée [en 2002], plusieurs de mes fans se sont manifestés pour me dire que j’avais devancé les dirigeants africains sur la voie de l’unité de notre continent.
Vous imagineriez-vous enregistrer avec Youssou N’Dour, Tiken Jah Fakoly ou Salif Keïta un appel à la mobilisation totale contre l’extrémisme violent en Afrique ?
Non seulement c’est possible mais, pour moi, le simple fait de l’envisager est un signe de reconnaissance de notre influence à nous, artistes musiciens, sur la société. Nous devons saisir ce pouvoir d’influence pour plaider la tolérance, mais aussi pour appeler nos dirigeants politiques à la modération, à l’ouverture et à la tolérance. Dans mes chansons, je défends le respect de l’humain, le respect de la tolérance.
Il n’est pas acceptable qu’un citoyen soit jeté en prison dans nos pays pour avoir eu une critique, même excessive, envers un président de la République. Je le dis parce que je considère que le pouvoir politique et la puissance qu’il confère sont des choses éphémères. Vous pouvez être milliardaire aujourd’hui et vous retrouvez sans le sou demain, car rien n’est éternel. Voyez ces nouvelles villes construites ex nihilo, ces réalisations humaines monumentales balayées en une minute par un tsunami, un tremblement de terre ou un glissement de terrain.
Tout cela doit nous amener à relativiser les choses et à promouvoir la tolérance et la compréhension mutuelles. Je suis sûr que mon point de vue est partagé par les autres artistes musiciens que vous évoquez. Cela rend donc faisable le projet de mobilisation collective contre la menace terroriste.
Votre présence à Essaouira est-elle le prolongement de votre engagement pour la tolérance et le vivre-ensemble ?
En venant à Essaouira pour le Festival gnaoua et musiques du monde, j’ai le sentiment de poursuivre ma mission d’ambassadeur de la diversité culturelle. Je n’ai pas hésité un seul instant lorsque les organisateurs m’ont fait l’amitié de me demander d’y participer.
Pour moi, la musique gnaoua, c’est la musique de mes ancêtres. C’est autant la musique du Maroc que du Sénégal. Par la provenance des participants, la diversité des musiciens qui y participent, ce festival est un haut lieu de promotion de l’ouverture à l’autre, de la tolérance, de l’humilité. L’environnement actuel en Afrique et dans le reste du monde appelle que toutes les bonnes volontés se rassemblent autour des valeurs de tolérance, de partage et d’ouverture. Je continuerai d’y prendre toute ma part.