« Le jour où les migrants sont sortis de la télé pour s’installer au coin de ma rue »
« Le jour où les migrants sont sortis de la télé pour s’installer au coin de ma rue »
Par Pablo Aiquel
Les Soudan Célestins Music et moi (1). Fin 2015, la vie de Pablo Aiquel, journaliste à Vichy, a croisé celle d’un groupe de migrants musiciens. Depuis, il organise leurs concerts.
Déjà en 2014, mais surtout en 2015, je regardais passer les migrants à la télé. Des colonnes d’êtres humains fuyant la guerre, la famine, la misère. Bravant la mort en mer. Pour atteindre la paix, la liberté, la dignité. Plusieurs fois, je me suis demandé quand et comment j’allais agir. A partir de quand l’indignation à la Stéphane Hessel se mue-t-elle en engagement, en action ?
Est-ce que j’allais attendre qu’ils arrivent au coin de ma rue pour me lever de ma chaise ? En plein milieu de la France, loin de Calais, de la Porte de La Chapelle ou de Vintimille, je n’en voyais pas un à la ronde.
Et puis ils arrivèrent. Fin octobre 2015, j’apprends par le journal La Montagne et France 3 Auvergne que plus d’une centaine d’occupants évacués d’un squat parisien avaient été installés provisoirement dans une base militaire à Varennes-sur-Allier, à 20 km au nord de Vichy. Comme chaque année, je propose aux étudiants de la licence pro de journalisme de proximité – oui, on peut étudier le journalisme à Vichy, la ville natale d’Albert Londres ! – de travailler le 11-Novembre pour se familiariser avec les contraintes du métier. Nous avons passé une journée à la base de Varennes. Dans la cour, les étudiants ont joué au foot avec les migrants pendant que, sur un banc au soleil, Abubakr dessinait sur mon calepin la carte du Soudan. Après ce premier contact, j’ai rejoint les quelques bénévoles qui leur rendaient visite régulièrement.
Les plus belles valeurs
Ne les appelez plus « migrants ». Ils ont cessé de voyager. Ils sont en phase d’installation. Fin février 2016, des dizaines de ces demandeurs d’asile ont quitté Varennes, ainsi que d’autres centres d’accueil et d’orientation (CAO) de la région, et sont arrivés, littéralement, au coin de ma rue. Dans leur foyer de Vichy, avenue des Célestins, ils attendaient l’instruction de leurs dossiers par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Au-delà des sigles et de la bureaucratie française, une poignée de citoyens engagés ont entrepris de les accueillir dans la ville thermale. Des Marie et des Claudine, des Jean-Louis, Pascal, Martine, Jacques ou Bernard qui donnent de leur temps pour mettre en œuvre les vers du poète Abdellatif Laabi : « J’atteste qu’il n’y a d’Etre humain/que Celui dont le cœur tremble d’amour/pour tous ses frères en humanité/Celui qui désire ardemment/plus pour eux que pour lui-même/liberté, paix, dignité ».
L’un prête un local pour en faire une salle de cours, l’autre un bout de terrain pour un potager, les instits à la retraite donnent des cours de français. Journaliste, je partage mon seul atout : mon carnet d’adresses. J’ai mis en relation les jardiniers avec l’association d’insertion Jardins de Cocagne, ceux qui veulent faire du théâtre avec le Centre dramatique national des Ilets à Montluçon, les profs avec la communauté d’agglomération quand nous n’avons plus de salle. Et, surtout, quand j’ai compris qu’il y avait des musiciens dans le groupe, et qu’ils voulaient jouer ensemble, j’ai contacté le festival Cultures du monde de Gannat. Ce concert, en juillet 2016, organisé sur les chapeaux de roue, est le début de l’incroyable aventure des Soudan Célestins Music.
Une partie du groupe des Soudan Célestins Music, à la Source des Célestins, à Vichy, le 29 juin 2017. | SANDRA MEHL POUR LE MONDE
Désormais, il me revient de caler les concerts du groupe dont les membres, généreux et enthousiastes, veulent partager leur culture et leur joie de vivre avec d’autres réfugiés et d’autres bénévoles, aux quatre coins d’Auvergne et au-delà. Quelle aventure !
Je sais, par mon parcours, ce que c’est que de passer une première année dans un pays étranger. Je comprends pourquoi ce 14-Juillet les Soudan Célestins Music veulent dire « Choukran Vichy » à la ville qui sera, à jamais, la première du reste de leur vie. Si les réfugiés peuvent, en plus, apporter leur contribution pour que le nom de notre ville soit synonyme des plus belles valeurs de la France, Vichy pourra, elle aussi, leur dire merci.
Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités. Il est aussi membre de l’association Réseau Vichy solidaire.