L’évêque camerounais Jean Marie Benoît Bala à Bafia, petite commune située à 120 km de Yaoundé. | Flikr

A Bafia, les habitants sont encore sous le choc. Plus d’un mois après la découverte, le 2 juin, du corps sans vie dans les eaux du fleuve Sanaga de Mgr Jean Marie Benoît Bala, évêque du diocèse de cette petite ville située à 120 km de Yaoundé, capitale du Cameroun, ils continuent de « pleurer » leur « père », leur « confident », leur « serviteur » et, surtout, l’« homme de Dieu irréprochable ». « Je n’arrive toujours pas à croire qu’un homme si gentil, si croyant et qui nous poussait à appliquer la parole de Dieu de toutes nos forces soit réellement mort », s’exclame Alima Bol, le regard plein de larmes.

Assis au parloir de la cathédrale Saint-Sébastien de Gondon, en face de l’évêché où vivait le prélat, le jeune fidèle âgé de 30 ans, par ailleurs garde suisse, veut que justice soit faite et que les « criminels brûlent en enfer ». Près de lui, deux jeunes hommes acquiescent vigoureusement. « L’évêque a été assassiné, poursuit Alima, vindicatif. Qu’on cesse de nous distraire. Il ne s’est pas noyé ni suicidé ! »

Pas de traces de violence

Tout commence le 31 mai au matin. La voiture de Mgr Bala, 58 ans, est retrouvée garée sur le pont Ebebda, construit sur la Sanaga, le plus long fleuve du Cameroun. A l’intérieur, sur le siège avant droit, un message : « Je suis dans l’eau » est posé à côté de sa carte nationale d’identité et de documents personnels. Durant trois jours, marins et sapeurs-pompiers camerounais mènent en vain des recherches. C’est finalement un pêcheur qui retrouve le corps sans vie de l’évêque, flottant dans la Sanaga au lieu-dit Tsang, le 2 juin. La dépouille est acheminée à Yaoundé pour y être autopsiée et une enquête pour « mort suspecte » est ouverte.

Cathédrale Saint-Sébastien de Gondon, où vivat Mgr Jean Marie Benoît Bala. | Josiane Kouagheu

Mais, déjà, la thèse de l’assassinat se propage. Le 13 juin, alors que les résultats de l’autopsie sont toujours attendus, les évêques affirment dans une déclaration commune que « Mgr Jean Marie Benoît Bala ne s’est pas suicidé, il a été brutalement assassiné ». Un « meurtre de plus et un de trop » pour l’église catholique qui a perdu, au fil des années, de nombreux prélats « assassinés dans les conditions non élucidées jusqu’à ce jour » au Cameroun.

« Les évêques exigent que les coupables soient identifiés et livrés à la justice (...). Que l’Etat assume son devoir régalien de protection des vies humaines et, notamment, celle des autorités ecclésiastiques », ajoute la déclaration.

« En clair, les évêques accusent des personnes et de manière indirecte le gouvernement d’avoir organisé l’assassinat de Mgr Bala, ce qui est très précipité et surprenant de leur part, fulmine une source policière. Nous poursuivons les enquêtes, mais je peux vous dire qu’en l’état actuel aucune preuve ne penche de ce côté. »

Deux autopsies

Pour déterminer les causes de la mort de l’évêque, deux autopsies ont été pratiquées. La première, par un collège de médecins légistes camerounais. La seconde par ceux commis par Interpol.

« Après examen approfondi, ils ont relevé l’absence de toute trace de violence sur le corps du défunt et conclu à cet égard que la noyade est la cause la plus probable du décès de l’évêque », souligne dans un communiqué daté du 4 juillet, Jean Fils Ntamack, procureur général auprès de la cour d’appel du Centre. Il précise que les investigations en vue de déterminer les circonstances exactes de ce drame se poursuivent et que le corps du prélat a été remis à l’Eglise catholique pour inhumation.

« Nous maintenons notre position. Mgr Jean Marie Benoît Bala a été brutalement assassiné », insiste Mgr Samuel Kleda, président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC), qui reçoit Le Monde Afrique dimanche 9 juillet au siège de l’institution à Yaoundé. L’église a-t-elle des preuves de cet assassinat ? A-t-elle fait une contre-autopsie ? Les évêques ont-ils réceptionné le corps ? Dans un communiqué publié le lundi suivant, ils assurent que leur « certitude morale » repose sur le fait que le corps du prélat qu’ils ont vu et reconnu au bord de la Sanaga portait des « marques de violence ». Recontactée le 13 juillet, la CENC précisait n’avoir toujours pas avoir reçu la dépouille du défunt.

« L’évêque a craqué »

Né le 10 mai 1959, Mgr Bala avait été ordonné prêtre en 1987. Tour à tour aumônier des écoles, vice-procureur diocésain, enseignant au grand séminaire, le pape Jean-Paul II l’avait nommé évêque en 2003. « C’était un homme responsable, très calme et qui construisait la paix. Il apportait beaucoup à l’Eglise », se souvient le président de la CENC.

A Bafia, les témoignages des fidèles rencontrés sont tout aussi élogieux. Raoul a « été témoin de la gentillesse de l’homme qui aimait trop la vie pour se tuer ». Il y a cinq ans, son épouse a fait deux fausses couches de suite et sa belle-famille a voulu le lyncher, convaincue qu’il « avalait les fœtus par sorcellerie ». Dépassé, le jeune conducteur de mototaxi, catholique, a couru se confier à l’évêque qui l’a écouté « longuement », lui a recommandé des prières et conseillé de conduire son épouse chez un médecin. « Ce que nous avons fait. Ma femme est tombée enceinte. J’ai une fille âgée de 2 ans aujourd’hui », sourit-il. Raoul assène : « Un homme comme ça ne peut pas se suicider. On l’a tué. » Qui ? Pourquoi ? Silence.

Mgr Jean Marie Benoît Bala était très apprécié des paroissiens qui le décrivent comme un « homme de Dieu irréprochable », « attentif » et présent. | DR

Lazare Edinguélé, directeur de la radio Région FM de Bafia a couvert toute « l’affaire » de la disparition à la découverte du corps. L’ancien commandant de brigade de la ville, reconverti en journaliste, assure que, selon les éléments en sa possession, « l’évêque s’est suicidé ». Ses preuves ? « Aucun signe de violence n’a été détecté sur son corps, ce qui pour moi signifie noyade volontaire. De plus, on a retrouvé les traces de l’écriture du mot Je suis dans l’eau sur un papier sur son bureau. Vraisemblablement, c’est lui qui l’a écrit. »

Quelle serait alors le motif de ce suicide ? Lazare Edingélé qui a travaillé pendant trente et un ans dans la gendarmerie nationale, affirme que tout serait parti de la mort de l’abbé Armel Collins Ndjama, recteur du petit séminaire Saint-André de Bafia, survenu dans la nuit du 9 au 10 mai 2017 des suites d’une courte maladie non dévoilée : « C’était son bras droit, son homme à tout faire, son confident. Il était comme son fils. Son corps a été découvert le jour de l’anniversaire de Mgr Bala. L’évêque a craqué. »

Pour mieux nous montrer « la peine de l’évêque » après la mort de son « fils », Jules Nsock, cameraman qui produit des vidéos pour le diocèse, nous invite à visionner dans sa maison le film des obsèques qu’il a fait le 23 mai. « Regardez l’évêque. Il avait maigri. Il était vraiment touché et abattu. Il n’a même pas assisté aux funérailles, dit-il. L’évêque avait vraiment changé. » Sur le mur de son salon, des photos du défunt, seul ou avec le couple présidentiel sont accrochées. Jules Nsock n’écarte pas « la thèse du suicide qui ne sera pas surprenante ».

Un tabou catholique

Approché, Mathieu qui a travaillé pendant treize comme chauffeur de l’évêque n’a pas voulu faire de déclaration. L’abbé Jean-Aimé Amougou, curé de la cathédrale Saint-Sébastien, esquive le tabou de suicide, très puissant au sein de l’Eglise catholique, d’autant plus qu’il est question d’un prélat : « C’est l’histoire et les faits qui parleront de lui. L’heure n’est pas à la parole. L’heure est à la médiation. » Pourtant, sur les réseaux sociaux, la violence de nombreux fidèles catholiques qui traquent ceux qui osent croire au suicide est éloquente.

Rodrigue Tongue, l’un des journalistes vedette de Canal 2 International, l’une des chaînes de télévision privée les plus suivies au Cameroun, a posté sur sa page Facebook : «Cessez de penser qu’un évêque est Dieu le père. On a vu des papes démissionner. Dieu démissionne-t-il ? » Les insultes n’ont pas tardé : « réflexion inopportune », « fantasme fanatique », « blasphème »

« Les fidèles sont perdus. Ils vivent dans le déni et réagissent avec passion. L’Eglise est le seul lieu d’espoir fiable et honnête pour de nombreux Camerounais. Si l’évêque à qui ils confient leurs problèmes, celui-là qui fait parfois des impositions des mains pour les guérir, les aide à trouver du travail, un mari, se suicide, alors l’avenir est vraiment sombre », explique Lazare Edingélé qui ne craint pas les représailles. Lui, dit-il, est un catholique « dépassionné ».