Combien coûte un député sénégalais ?
Combien coûte un député sénégalais ?
Par Matteo Maillard, Amadou Ndiaye (contributeurs Le Monde Afrique, Dakar)
Les législatives du 30 juillet consacreront l’élargissement de l’Assemblée à quinze nouveaux parlementaires pour représenter la diaspora.
Dimanche 30 juillet, les Sénégalais seront appelés aux urnes afin d’élire les 165 députés qui siégeront à l’Assemblée nationale. Soit quinze de plus que la précédente élection de 2012. Ces nouveaux députés représenteront pour la première fois les Sénégalais issus de la diaspora, selon un projet de loi adopté en janvier 2017. L’objectif étant d’offrir une plus grande représentativité aux Sénégalais « de l’extérieur ». Mais, pour de nombreux contribuables, l’élargissement du Parlement pose surtout la question de la charge financière de ces nouveaux députés.
Aujourd’hui, un député sénégalais coûte en salaire 1,3 million de francs CFA par mois (1 981 euros). A cela il faut ajouter les frais liés à son véhicule de fonction, un 4 x 4, soit 300 litres d’essence par mois. Le litre étant actuellement à 695 francs CFA, cela revient à 208 500 francs CFA supplémentaires (317 euros). Parmi les 165 députés qui seront élus, certains devront remplir des fonctions plus importantes qui leur offriront des avantages supplémentaires. Le président de l’Assemblée et les membres du bureau, c’est-à-dire les huit vice-présidents, les six secrétaires élus, les deux présidents de groupe parlementaires et les deux questeurs toucheront un salaire mensuel de 2 millions de francs CFA, bénéficieront de deux véhicules de fonction et de 1 000 litres d’essence par mois. Pour les douze présidents de commission et les deux vice-présidents de groupe parlementaire, le salaire s’élèvera à 1,6 million de francs CFA, un 4 x 4, une seconde voiture de fonction et 1 000 litres d’essence par mois.
Revendications de la diaspora
Selon la dernière loi de finance du Sénégal, votée en décembre 2016, le budget pour l’Assemblée nationale se porte à plus de 16 milliards de francs CFA pour cinq ans. Une somme jugée raisonnable par Aynina Diop, enseignant à l’Institut des droits de l’homme et de la paix de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar : « L’Assemblée nationale est la deuxième institution du pays donc ses occupants doivent être mis dans des conditions acceptables. Maintenant, les députés doivent à leur tour être conscients des efforts du contribuable sénégalais pour mériter ce traitement particulier. »
En consacrant l’élargissement du Parlement avec quinze nouveaux députés issus de la diaspora, le gouvernement du président Macky Sall faisait le souhait de mieux prendre en compte les besoins des Sénégalais de l’étranger. Issue du référendum du 20 mars 2016 sur la révision du mandat présidentielle à travers une réduction de sept à cinq ans et sur 14 autres points pour consolider la démocratie sénégalaise et adoptée le 2 janvier 2017, la loi sur l’élargissement des députés continue de drainer son lot d’inquiétude chez les Sénégalais. « Ces 15 députés de la diaspora n’ont pas leur raison d’être, les 150 députés représentent déjà tous les Sénégalais, estime Mariam Bâ, enseignante d’une trentaine d’années. D’ailleurs, il existe au sein de cette législature finissante une commission des affaires étrangères qui a toujours porté les revendications de la diaspora. »
Doctorant en science économie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Adama Diouf va plus loin en soutenant qu’il est inopportun d’augmenter le nombre des députés, car les Sénégalais ont d’autres priorités essentielles comme la réduction du coût du loyer à Dakar, l’éradication de la famine qui menace certaines zones du pays, etc. Par ailleurs, le revenu moyen s’élevait en 2016 à 828 euros par an et par habitant.
Surnommée « quinzième région du Sénégal », la diaspora a été répartie en huit nouvelles circonscriptions qui devront choisir leurs différents députés. Deux en Europe, une en Amérique, une en Asie-Moyen-Orient, et quatre autres en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale et australe. Forte d’une population estimée à 2,5 millions d’individus, la diaspora sénégalaise possède un poids économique non négligeable. Rapportant environ 900 milliards de francs CFA au pays, soit le tiers du budget 2017.
Vide juridique
Pour Thierno Bocoum, député du parti d’opposition Rewmi, il est normal que la diaspora soit représentée à l’Assemblée nationale ne serait-ce que pour la symbolique, car elle participe beaucoup au développement du pays. Il trouve cependant le nombre de quinze députés trop élevé et regrette que ce choix n’ait pas fait l’objet d’un consensus entre le pouvoir et l’opposition.
Comme de nombreux Sénégalais, Thierno Bocoum s’interroge en outre sur les modalités pratiques qui vont entourer le travail des députés de la diaspora. Notamment les frais engrangés pour le contribuable sénégalais si ces élus résident dans leur pays d’accueil. « Cela représentera un coût bien plus élevé qu’un député résidant au Sénégal, affirme-t-il. Car s’ils doivent à chaque fois venir à Dakar en avion pour assister aux sessions parlementaires, il faudra prendre en charge les billets d’avion, le logement et tous les frais annexes. Et jusque-là nous n’avons pas clairement défini qui paiera la facture. »
Député et coordonnateur des jeunesses de la Coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakar Zator Mbaye explique que l’idée des députés de la diaspora est très pertinente en ce qu’elle permet aux Sénégalais établis à l’étranger de mieux défendre devant l’Hémicycle une amélioration des besoins liés à leur condition de vie, notamment l’exonération de certaines taxes liées aux produits qu’ils font entrer dans le pays et des facilités pour l’obtention de papiers de séjour. Il regrette cependant le vide juridique qui caractérise cette loi et explique que ce sera le premier chantier auquel va s’attaquer le futur bureau de l’Assemblée nationale. « La loi sur l’augmentation des députés a été votée dans la précipitation, elle dit juste que les députés de la diaspora seront élus au même titre que les députés de l’intérieur, sans en définir les modalités », explique ce juriste de formation et ancien de l’Assemblée nationale qui souhaite garder l’anonymat. Selon lui, « il est impératif que les autorités votent une loi organique pour encadrer les dispositifs de la Constitution sur les modalités pratiques d’exercice des députés de la diaspora ».