Tour de France : le spleen de l’équipier abandonné par son leader
Tour de France : le spleen de l’équipier abandonné par son leader
Par Henri Seckel, Clément Guillou (Le Puy-en-Velay, envoyés spéciaux)
Dans les équipes du Tour privées de leur meilleur atout, les rescapés vivent au jour le jour
Amaël Moinard, lors de la 15e étape du Tour de France, le 16 juillet. Le coureur BMC a perdu son leader Richie Porte lors de la 9e étape après une chute. REUTERS/Benoit Tessier | BENOIT TESSIER / REUTERS
Ils n’étaient pas venus pour briller, mais pour épauler, protéger du vent, porter les bidons, faire don d’une roue en cas de crevaison. Leur Tour de France devait se résumer à trois semaines de sacrifices à la gloire du leader de l’équipe. Mais, pour le leader en question, la course s’est arrêtée plus tôt que prévu, sur un coup du sort. Alors le Tour a changé de visage pour ces équipiers soudain privés de leur mission initiale et livrés à eux-mêmes.
Amaël Moinard devait aider Richie Porte (BMC) à déloger Christopher Froome de la plus haute marche du podium à Paris. L’Australien a quitté le Tour en ambulance après une chute dans la 9e étape. Le Polonais Maciej Bodnar avait pour mission de mener Peter Sagan (Bora-Hansgrohe) vers un sixième maillot vert d’affilée sur les Champs-Elysées. Le Slovaque a été exclu le soir de la 4e étape pour sprint dangereux. Olivier Le Gac était censé accompagner Arnaud Démare (FDJ) jusque dans les derniers hectomètres des sprints. Le champion de France a fini hors délai à Chambéry (9e étape).
De la place dans le bus
Tous ces gregarios (du mot italien signifiant « équipier ») racontent l’abattement au moment de la mauvaise nouvelle, la sensation que tout est ruiné. Amaël Moinard grimpait le mont du Chat quand son leader a chuté dans la descente : « On demandait aux spectateurs ce qui se passait devant, on nous a dit “Richie est tombé, abandon”. On a d’abord cru à une mauvaise blague, puis on eu la confirmation par un membre de l’équipe qui donnait des bidons sur le bord de la route. Ça nous a coupé les pattes. » Maciej Bodnar, lui, était dans sa chambre d’hôtel quand l’exclusion de Peter Sagan est survenue : « J’ai vu la nouvelle sur Internet. Jusqu’au départ de l’étape le lendemain, on espérait que Peter pourrait repartir. »Le jury ne reviendra pas sur sa décision. « Ça n’a pas été facile. On n’était pas d’accord avec le verdict, mais on a été obligé de l’accepter. »
Quant à Olivier Le Gac, le jour fatidique, il attendait à l’arrivée : « J’ai franchi la ligne avec vingt-sept minutes de retard, Arnaud n’avait plus que dix minutes pour arriver dans les délais et je savais qu’il était loin, j’ai compris que c’était terminé. A l’arrivée, il n’y a pas eu beaucoup de mots. C’était plus des regards. » Cas rare, Arnaud Démare a entraîné dans son élimination trois coéquipiers qui avaient fait l’étape à ses côtés. Comme un cinquième FDJ a ensuite abandonné, l’équipe ne compte plus que quatre coureurs. « C’est sûr qu’il y a de la place dans le bus, sourit tant bien que mal Olivier Le Gac. Et à l’hôtel, le soir, c’est plus calme. »
« Tout s’écroule, parce qu’on était conditionnés autour de Richie, poursuit Amaël Moinard. On avait travaillé tous les jours pour lui à 100 %, alors on a pris un coup derrière les oreilles. » Il faut pourtant bien remonter sur son vélo et garder le moral. « Surtout ne pas gamberger, explique Olivier Le Gac. Si ça ne va plus dans la tête, la course devient trop dure. Alors il faut passer à autre chose, se montrer optimiste. Il restait deux semaines, on s’est dit qu’il fallait continuer à se battre et se fixer de nouveaux objectifs. On regarde étape par étape, en fonction des profils des coureurs qui restent. Par exemple, on vise des top 10 dans les sprints avec Davide Cimolai, mais on n’est plus très nombreux pour l’emmener, alors ça n’est pas évident. »
Chute dès le premier virage
« C’était triste, mais on reste motivé, affirme Maciej Bodnar. Le Tour ne s’est pas arrêté le jour de l’exclusion de Peter », dont le vélo continue d’être symboliquement préparé et bichonné tous les matins par les mécanos de l’équipe. « Les directeurs sportifs nous ont dit de ne pas abandonner et de continuer à nous battre pour Rafal Majka, qui pouvait viser un bon classement général. »Malheureuse équipe Bora : Majka a lui aussi quitté le peloton sur blessure. Changement de stratégie totale, du coup :« On nous dit : “Maintenant, vous avez l’opportunité de faire des choses pour vous-même, saisissez votre chance.” »A Pau, Bodnar a bien failli remporter l’étape, repris à trois cents mètres de la ligne par le peloton au terme d’une immense échappée dans laquelle il ne se serait évidemment pas lancé si Sagan avait toujours été là. « Il faut changer d’état d’esprit, mais ce n’est pas facile quand tu es arrivé sur le Tour en te disant que tu n’allais faire que travailler pour un coureur. »
« On était conditionné pour aider Richie, on ne se reconfigure pas en une heure de temps, confirme Amaël Moinard. Et puis, même si ça revient un peu, vu qu’on ne s’entraîne pas pareil si on veut être baroudeur ou si on veut monter au train, on a moins de punch, on est moins explosif. On a envie de montrer qu’on existe, notre part égoïste rejaillit, mais c’est compliqué à gérer. »
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L’atmosphère au sein des six équipes (sur vingt-deux) ayant perdu leur leader n’est pas complètement morose. Les survivants se serrent les coudes, et se découvrent parfois plus soudés qu’ils ne l’imaginaient. Chez Bora (grâce à Sagan) et à la FDJ (grâce à Démare), on peut se consoler en se disant qu’on repartira du Tour avec au moins une victoire d’étape. Et puis le Tour reste le Tour : « On est quand même sur la course qui nous fait rêver, donc on a aussi envie de l’apprécier, souligne Amaël Moinard, qui figurait dimanche 16 juillet dans la bonne échappée. Je suis les meilleurs pour prouver que j’ai toujours le niveau, j’essaie de me faire plaisir sur certaines étapes. »
Ça pourrait toujours être pire, rappelle Yukiya Arashiro, équipier de la formation Bahrain-Meridan qui a perdu son leader espagnol, Ion Izagirre – potentiel top 10 du Tour – sur chute dès les premiers virages de la course, à Düsseldorf. Le Japonais se montre philosophe : « Ion ne peut toujours pas monter sur un vélo ni marcher. Alors quand on trouve que c’est difficile, certains jours, sur la route, on pense à lui. Lui, il voudrait faire le Tour. Nous, au moins, on peut. »