A Saint-Etienne-du-Rouvray, chrétiens et musulmans ont échappé au « piège de la division »
A Saint-Etienne-du-Rouvray, chrétiens et musulmans ont échappé au « piège de la division »
Par Feriel Alouti (envoyée spéciale, Saint-Etienne-du-Rouvray, Seine-Normandie)
Les communautés n’ont pas attendu l’assassinat du père Jacques Hamel pour développer le dialogue interreligieux.
Il y a un an, Jacque Hamel, prêtre auxiliaire de 86 ans, était tué dans une attaque terroriste lancée pendant la messe du matin. | Feriel Alouti pour Le Monde
A l’entrée de l’église Saint-Etienne, un tableau représentant le père Jacques Hamel, une auréole sur la tête et le regard posé sur un livre de prières, accueille depuis presque un an fidèles et visiteurs. « Peint et offert par Moubine, croyant musulman », peut-on lire en dessous de l’œuvre. Tout un symbole dans une ville endeuillée par la mort de ce prêtre auxiliaire, tué le 26 juillet 2016 dans une attaque terroriste revendiquée par l’organisation Etat islamique. « Ceux qui ont commis cet attentat avaient pour but de nous diviser, que les communautés s’entre-déchirent. Et bien, on a eu envie de leur montrer le contraire », lance Auguste Moanda, prêtre de la paroisse depuis six ans. Alors oui, il y a bien eu, dans les semaines qui ont suivi la mort du religieux, des gens « pas croyants », précise le prête, qui ont estimé qu’il était « naïf » de prôner le vivre-ensemble. Mais, c’était « marginal », dit-il.
Le tableau représentant Jacques Hamel offert par un « croyant musulman ». | Feriel Alouti pour Le Monde
Dans cette ville de 29 000 habitants, située dans la banlieue sud de Rouen, un an après la mort de Jacques Hamel, habitants, responsables politiques et religieux sont, en effet, unanimes : la « plaie est encore vive » mais l’envie de dialoguer intacte. Dans les rues, musulmans comme catholiques, presque surpris par la question, assurent que rien n’a changé. Bien au contraire. « Dans une famille, un décès rapproche », sourit Christian, retraité de l’enseignement et servant d’autel à l’église Saint-Etienne. Selon lui, un an plus tard, la « fraternité » est même plus « grande » avec les musulmans qu’il appelle ses « frères ».
Ce jour-là, les membres de la chorale entament une dernière répétition avant l’hommage national, rendu mercredi 26 juillet. Claudine, 56 ans, une grosse croix en bois posée sur un polo, a prévu de lire pendant la messe un texte de Ben Sira le sage, un érudit juif qui écrivit au IIe siècle avant notre ère un des livres poétiques de l’Ancien Testament. Elle, aussi, parle d’une relation apaisée entre croyants. Elle se souvient avec émotion de cette messe organisée en hommage au père Hamel à laquelle les musulmans de la ville avaient été conviés.
« Il y avait des gens de toutes les générations, pas seulement des hommes plus âgés et posés mais aussi des ados. J’ai trouvé ça très beau. »
Plus loin, dans le quartier du Château-Blanc, où se mélangent grands ensembles et pavillons proprets, « l’ambiance n’a pas changé », estime également Nassima, 34 ans, femme au foyer et musulmane pratiquante. Si elle continue à porter son voile sans subir de réflexion, elle regrette toutefois de devoir se « justifier » dès qu’un attentat a lieu.
« Une prise de conscience »
Du côté des responsables musulmans, « l’envie de vivre et de faire ensemble » est toute aussi présente. « Nous sommes sortis grandis de cet acte barbare contre un prêtre qui nous était cher, à nous, musulmans », relève ainsi Mohammed Karabila, président du conseil régional du culte musulman de Haute-Normandie (CRCM) et responsable de la mosquée Yahia.
Collé à l’église Sainte-Thérèse - la deuxième de la ville -, l’édifice religieux a été construit en 2000 sur un terrain cédé par la paroisse pour un euro symbolique. Un geste qui explique, en partie, la « bonne entente » qui règne entre musulmans et catholiques. Pour le père Moanda, la proximité entre les communautés est aussi due au rôle social joué par la paroisse. Dans cette ville ouvrière qui affiche un taux de chômage à deux chiffres (21,5 % en 2014), le soutien scolaire et les dons de vêtement proposés par l’église ne sont ainsi pas négligeables.
« Depuis l’attentat, il y a une prise de conscience de ce qu’on a construit ensemble, une envie de le faire savoir aux gens et de donner de la profondeur à cette relation qui nous lie », résume M. Karabila. Les autorités religieuses locales n’ont, en effet, pas attendu cette épreuve pour miser sur le dialogue interreligieux. Depuis les attentats de Paris, en janvier 2015, responsables locaux chrétiens, musulmans et juifs réunissent plusieurs fois par an un comité interconfessionnel. L’occasion pour les représentants religieux de « donner des nouvelles de [leur] communauté » et d’éviter les « conflits », explique Dominique Lebrun, archevêque de Rouen.
A Saint-Etienne-du-Rouvray, depuis l’attentat, « les marques symboliques se sont renforcées », « les temps d’échanges œcuméniques multipliés », relève Joachim Moyse, maire de la ville. Il y a d’abord eu des moments de prières communes entre musulmans et chrétiens organisés au lendemain de l’attaque, puis, tout au long de l’année, l’accueil de délégations étrangères. Venus du Québec, du Caire, de Londres, des groupes de musulmans et de chrétiens sont venus découvrir et discuter avec leurs homologues locaux. Le signe pour le père Moanda d’une véritable « avancée du côté du dialogue interreligieux ».
Une rupture du jeûne « très symbolique »
De son côté, si l’archevêque Lebrun n’a jamais eu peur d’un « basculement », il a toutefois été surpris le jour de la mort de Jacques Hamel qu’un « responsable musulman » se décide tardivement à dénoncer l’attentat dans un communiqué. Depuis, son inquiétude s’est dissipée. Si bien que cette année, pendant le ramadan, avec le père Moanda et les élus locaux, il a été convié par les responsables de la mosquée à participer à une rupture du jeûne. « Une première en six ans » pour le prêtre Moanda qui garde le souvenir d’une soirée « très symbolique ». « C’était important d’être chez eux, d’être accueillis », relève pour sa part Dominique Lebrun tout en estimant que le dialogue doit continuer à « s’approfondir ».
Pour Mohammed Karabila, un an après, le sentiment subsiste d’avoir été « salis » et « trahis » par des « ignorants manipulés ». « Aucun sujet » étant « tabou », il a d’ailleurs bien fallu, après l’attentat, évoquer la radicalisation dont pouvaient être victimes certains jeunes. C’est pourquoi plusieurs imams, réunis au sein du CRCM qui compte une trentaine de lieux de culte, ont initié, depuis l’attaque, « un travail de rapprochement avec les jeunes » et même rédigé des « prêches en commun » dans le but, dit-il, de construire « un contre-discours religieux ». Une manière aussi de contrecarrer ce que M. Karabila surnomme, avec agacement, « l’imam google ».
Et bien qu’il soit conscient que des choses restent à faire, il sait désormais qu’Auguste Moanda ne se trompait pas lorsqu’il espérait, il y a un an, « que le sang du père Hamel soit le ciment entre nos deux communautés ».