Les salariés d’Ardennes Forge vont finir par penser qu’ils sont maudits. Licenciés en 2008, dans des conditions irrégulières, ils sont aujourd’hui sommés de rembourser une très large partie des dommages-intérêts que la justice leur avait accordés il y a sept ans, en première instance. La Cour de cassation a tranché, très récemment, en leur défaveur le litige qui les opposait à l’AGS, le régime de solidarité qui paie les sommes dues à des travailleurs lorsque l’employeur est en redressement ou en liquidation. Une situation douloureuse pour ces hommes et ces femmes dans l’incapacité de régler la somme réclamée.

Peu après la faillite d’Ardennes Forge, en 2008, les personnes employées par cet équipementier automobile avaient saisi le conseil des prud’hommes de Charleville-Mézières. Celui-ci leur avait donné gain de cause et octroyé, au total, 750 000 euros de dédommagement, rapporte leur avocat, Me Xavier Médeau : la juridiction avait estimé que le licenciement était dépourvu de « cause réelle et sérieuse » et que certains des 47 salariés avaient travaillé sans être déclarés dans les règles.

En 2012, douche froide : la cour d’appel de Reims avait ramené à environ « 170 000 euros » les dommages-intérêts, considérant – entre autres – qu’il n’y avait pas eu de « travail dissimulé », selon Me Médeau. Décision contestée par les ex-salariés. Mais leur demande a donc été rejetée en cassation, le 13 juillet. Résultat : ils doivent à l’AGS « entre 6 500 et 20 000 euros » chacun, d’après Me Médeau. « Nous sommes dégoûtés, confie Rémy Petitjean, l’un des anciens de l’entreprise. Les trois quarts d’entre nous sont sans emploi. » Leur amertume est d’autant plus vive que l’incrimination de travail dissimulé avait été retenue dans le volet pénal du dossier – puisque l’ex-patron de la société avait été condamné à ce titre, ainsi que pour escroquerie, à six mois de prison avec sursis.

« Etalement des paiements »

Le sort s’acharne contre les salariés d’Ardennes Forge. L’entreprise avait vu le jour, fin 2006, début 2007, sur les ruines de Thomé-Génot : l’ex-premier fabricant mondial de pôles d’alternateurs pour automobiles avait mis la clé sous la porte, victime d’actionnaires américains indélicats. Leur procès en correctionnel aura lieu, en principe, début octobre.

En attendant, une délégation de salariés et d’élus devait être reçue, mardi 25 juillet, au ministère du travail. « Je veux des résultats », lance Pierre Cordier, député (apparenté LR). Directeur général de l’AGS, Thierry Météyé se dit prêt, de son côté, « à examiner chaque situation individuelle et à envisager l’étalement des paiements, voire une baisse significative de la somme due ». « Mais la situation soulève un problème de principe, souligne-t-il. Nous ne pouvons pas décréter que nous effaçons d’un trait de plume la créance en jeu car l’AGS est un régime de solidarité financé par des cotisations des entreprises. L’argent ne tombe pas du ciel. » Pour lui, toute cette affaire résulte de « l’inconséquence démagogique d’un conseil des prud’hommes qui avait accordé des dommages-intérêts très importants ». Il rappelle que quelques salariés avaient commencé à rembourser « après la décision en appel » ; l’important, s’agissant des autres, est qu’« ils nous contactent ». Rémy Petitjean ne veut pas en entendre : « Ce serait reconnaître que nous sommes coupables. »