Les voies du Seigneur, c’est bien connu, sont impénétrables. Mais pas celles qui conduisent au bureau de vote. A Angers, dimanche 20 novembre, il y avait au moins deux bonnes raisons de hâter le pas au sortir de la messe. Premièrement, une pluie régulière à vous décourager de palabrer devant l’église Saint-Joseph. Deuxièmement, pour la majorité des catholiques interrogés, à midi, il s’agissait d’aller contribuer à la très large victoire de François Fillon : 44 % des voix au premier tour de la primaire de la droite et du centre en vue de la présidentielle.

Un Sarthois, le candidat du coin, certes. Mais dans la préfecture de Maine-et-Loire, les paroissiens confessent surtout un autre argument : « Fillon, c’est celui qui représente le plus les valeurs auxquelles je crois. Les valeurs de famille, de droiture », affirme Véronique Dewé, secrétaire de 52 ans, vélo garé près de l’église. « Fillon se rapproche de mes valeurs, abonde Bertrand Monnier, maître d’œuvre de 28 ans, croisé dans un bureau du centre-ville. Ça fait longtemps qu’on a pas mal voté par défaut, mais là, je me retrouve dans ses valeurs chrétiennes. »

M. Fillon est effectivement de foi catholique. Tendance La Manif pour tous, à laquelle il avait encore adressé un message de « sympathie » il y a un mois. Avant le scrutin, l’ancien premier ministre bénéficiait déjà du soutien de Sens commun, émanation politique du mouvement aux Républicains (LR). Et pour nombre de ces catholiques-là, la primaire de la droite et du centre a désormais fait de lui « le vote utile », pour reprendre l’expression de Pierre, 51 ans, rencontré au sortir de la messe.

« J’avais envie de quelqu’un de calme »

François Fillon, donc plutôt que Jean-Frédéric Poisson, le « candidat de cœur », président du Parti chrétien-démocrate, qui a finalement obtenu à peine 1 % des suffrages.

« Poissson a des idées qui correspondent à ma religion, à ma pratique. Mais je pense que Fillon n’est pas très éloigné de ces idées-là et qu’il est sans doute plus susceptible d’accueillir plus de monde sur son programme. »

Anne, l’épouse de Pierre, a une petite voix. Comme son conjoint, cette enseignante en lettres dans un lycée professionnel tient à son anonymat. Comme lui aussi, elle restera silencieuse sur la proposition de Fillon de supprimer cinq cent mille postes de fonctionnaire durant le quinquennat à venir. Et comme lui aussi, elle « [veut] faire barrage à [Alain] Juppé, un homme de gauche déguisé en homme de droite. Au niveau des valeurs de la famille et des valeurs chrétiennes, il est zéro ! »

Sœur Monique, elle, se soucie moins de la loi Taubira et du mariage pour tous. La religieuse, habillée pour l’occasion en civil, a surtout voté Fillon en opposition à Nicolas Sarkozy. « J’avais envie de quelqu’un de calme. Je ne veux absolument pas de Sarko. Moi je vis en colocation avec des étudiantes, alors l’agitation, je n’ai pas besoin d’en rajouter. Pas besoin d’insolence non plus. » A 63 ans, la sœur se sent de moins en moins « idéologue » : elle compte également se rendre à la primaire de la gauche, en janvier. Et plutôt, si l’occasion se présente, pour soutenir le premier ministre actuel, Manuel Valls.

« Etre moins à la botte des Américains »

A Angers, François Fillon a surtout bataillé avec Alain Juppé, arrivé en deuxième position dans la ville (38,61 %) comme au plan national (28 %). Qu’est-ce qui a également fait la différence ? Philippe, un kinésithérapeute de 51 ans, estime que « François Fillon ne traîne pas derrière lui des casseroles comme d’autres candidats à droite ». Dans une allusion à peine voilée à MM. Sarkozy et Juppé, le praticien ajoute : «  Il n’a pas eu de casier judiciaire, et c’est une chose qui compte dans l’honnêteté et l’intégrité de cet homme. »

Le programme du candidat a aussi eu son importance, toujours selon Philippe, qui a requis l’anonymat au nom de « responsabilités associatives ». Et notamment la russophilie assumée de M. Fillon : « Son discours tranche un petit peu. Il veut notamment réaxer la politique internationale française sur un équilibre international, être moins à la botte des Américains. Cette idée me plaît beaucoup, je pense qu’elle est un gage de paix à venir », espère le fidèle de la paroisse Saint-Joseph, qui approuve également « le projet de vouloir soutenir une fermeté dans le rééquilibre de la dette publique ».

Dans la paroisse, une fois la messe dite, le chef de chœur a aussi son avis sur la question. « Très franchement, j’ai longtemps hésité entre Fillon et Juppé, reconnaît Laurent Bezie, 40 ans, avocat de profession. Mais Fillon est celui qui a fait la plus belle campagne. Juppé a plutôt surfé sur ce qu’il était déjà. » Sans doute celui-ci espère-t-il aujourd’hui que, dans une semaine, pour le second tour de la primaire, qui opposera Fillon à Juppé, le deuxième sera le premier.