Un cocktail chimique cause la mort de 13 enfants au Bangladesh
Un cocktail chimique cause la mort de 13 enfants au Bangladesh
Par Emilie Veyssié
Attribués officiellement à une toxine présente dans les litchis, les morts seraient en fait liées à une forte exposition aux pesticides selon une étude internationale publiée lundi.
L’endosulfan est-il l’un des pesticides à l’origine des encéphalites aiguës qui ont causé la mort de 13 enfants en 2012 au Bangladesh ? C’est ce qu’affirme une étude internationale publiée dans l’American Journal of Tropical Medicine and Hygiene lundi 24 juillet. L’endusolfan est interdit dans plus de 80 pays à cause de ses effets nocifs sur la santé. Banni en Europe depuis 2005 et depuis seulement fin 2016 aux Etats-Unis, il est utilisé abondamment dans les cultures de litchis au Bangladesh, malgré une autorisation restreinte.
Les auteurs de l’étude, bangladais et américains, concluent que le syndrome ne vient pas de l’ingestion même des litchis mais de l’exposition et de l’ingestion d’un cocktail chimique lié aux cultures du fruit très utilisatrices de pesticides.
Ces résultats remettent en cause la raison officielle des décès, validée en début d’année par une étude parue le 30 janvier dans The Lancet Global Health, qui avait conclu à la responsabilité d’une toxine, la methylenecyclopropyl-glycine, présente naturellement dans les graines du fruit. Elle provoque de l’hypoglycémie surtout chez les enfants souffrant de malnutrition. Cette explication n’a pas convaincu l’équipe de recherche internationale. « La toxine ne peut pas à elle seule être la cause des syndromes d’encéphalites aiguës. Il y a de multiples sources de données qui prouvent que l’empoisonnement à l’agrochimie peut y avoir contribué », écrivent les auteurs.
Proximité de vergers
Les scientifiques ont étudié le cas de 14 enfants bangladais, âgés de 1 à 12 ans, dont 13 sont morts du syndrome cérébral en 2012 dans le district de Dinajpur, dans le nord du pays. Ils ont Interrogé les familles, les médecins et les gardiens des cultures de litchis. Les malades habitaient tous à proximité de 15 vergers sauf un, celui qui a survécu. Ils présentaient des symptômes tels que des convulsions, des suées excessives et des pertes de connaissance. Les jours précédant leur contraction de la maladie, ils s’étaient rendus dans les vergers, où des pesticides sont régulièrement épandus, et ils mangeaient les fruits tombés au sol sans les laver, en enlevant la peau avec leurs dents. La contamination a pu se faire par la peau, par inhalation et par ingestion. Huit enfants avaient des parents qui travaillaient dans les vergers et qui, pour trois d’entre eux, épandaient des pesticides, ramenant ainsi des résidus à leur foyer.
« Nous ne savons pas exactement lesquels de ces pesticides causent la mort, mais nous savons que c’est ce cocktail chimique auquel les enfants sont exposés qui les rend malades », explique Emily Gurley, scientifique à la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health à Baltimore, dans le Maryland, aux Etats-Unis, et principale auteure de l’étude.
Dans le district de Dinajpur, d’autres cas d’encéphalites aiguës ont eu lieu en 2015 qui permettent aux scientifiques de confirmer leur thèse. En revanche, les enfants consommant des litchis dans d’autres zones ne sont pas atteints.
Le syndrome d’encéphalites aiguës touche 133 000 enfants chaque année en Asie selon les estimations des chercheurs. Cette inflammation du cerveau est causée, entre autres, par des virus, des champignons et des produits chimiques. Ces dernières années, les cas mortels sur les enfants se sont amplifiés en Inde, au Bangladesh au Vietnam et en Thaïlande.
Etiquettes arrachées
« Les gardiens des vergers expliquent que les grossistes achètent les pesticides à des marchands locaux comme à des revendeurs non immatriculés près de la frontière indienne, notent les auteurs. Les grossistes retirent parfois l’étiquette des bouteilles afin que les gardiens ne puissent pas savoir ce qu’ils épandent. » Ces derniers ont quand même pu préciser aux auteurs quels pesticides ils utilisaient. Il s’agit du cypermethrin, de l’endosulfan, de l’alpha-cypermethrin et du lambda-cyhalothrin. En effectuant des prélèvements, les scientifiques ont bien trouvé des substances actives tels que le pyrethroids et l’endosulfan.
« Comment peut-on utiliser des pesticides hautement toxiques à côté de maisons où vivent des enfants ? Le danger est trop important », dénonce Emily Gurley. Les pays voisins sont également atteints. En Inde, le gouvernement local du Kerala a estimé que l’usage à tort et à travers de l’endosulfan avait empoisonné 4 270 personnes et causé la mort de 500 autres depuis 1978.
Depuis 1995, les cas de syndromes d’encéphalites aiguës infantiles ont été recensés entre juin et juillet, lors des récoltes de litchis près des vergers à Muzaffarpur, dans l’Etat de Bihar, dans le même pays. Les malades avaient passé du temps dans les cultures.
Une équipe du National Vector Borne Disease Control Program a trouvé en 2014 de fortes concentrations, supérieures aux recommandations, d’alpha-cyphermethrin, un composé chimique très actif, sur les litchis collectés près de Muzaffarpur. Elle concluait que le syndrome d’encéphalites aiguës pouvait avoir été causé par le produit chimique.