Une plateforme pétrolière de Total au large de l’Angola. / RODGER BOSCH / AFP

Entre la République du Congo, les compagnies pétrolières et les bailleurs de fonds internationaux, c’est une histoire à multiples entrées. Que Brazzaville, où le clan au pouvoir est visé en France par des enquêtes sur l’affaire dite des « biens mal acquis », et les sociétés spécialisées dans l’or noir puissent mener des transactions dans une certaine opacité n’étonnera personne. En mai, Le Monde avait révélé comment la multinationale française Total avait aidé l’Etat du Congo, en 2003, à se refinancer tout en échappant aux radars du Fonds monétaire international (FMI).

La dernière enquête de Global Witness vient apporter un nouvel éclairage sur les relations qui peuvent se nouer entre pays producteurs, compagnies et bailleurs de fonds. En effet, selon l’organisation britannique spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles et les revenus qui en découlent, les entreprises française Total et italienne Eni ont entretenu des relations d’affaires avec José Veiga, « un intermédiaire au cœur d’une enquête portugaise pour corruption », et Yaya Moussa, son associé au parcours sinueux.

Proche du président Denis Sassou-Nguesso, José Veiga, un ancien directeur du Benfica de Lisbonne, l’un des clubs de football les plus prestigieux du Portugal, a été arrêté début 2016 dans son pays dans le cadre d’une enquête portant sur des accusations de blanchiment d’argent, de fraude fiscale, de trafic d’influence et de corruption au Congo. Selon Global Witness, « M. Veiga aurait reçu d’importants versements de la part de sociétés cherchant à investir au Congo, qu’il aurait ensuite partagés avec des membres des autorités congolaises ». Après trois mois de prison puis deux mois de résidence surveillée, il a retrouvé la liberté mais les enquêtes sur son compte se poursuivent.

« Coïncidence de calendrier »

Plus intéressant et surprenant est le profil de son associé, Yaya Moussa. En effet, quelques mois avant que Brazzaville obtienne en 2010 un substantiel allégement de sa dette de 1,9 milliard de dollars (environ 1,4 milliard de dollars à l’époque) de la part du FMI, ce Camerounais était le représentant de ladite institution au Congo. « Faire encore plus de choses pour l’Afrique » était sa motivation au moment de faire ses valises du FMI.

Les contours de cette ambition apparaîtront plus distinctement trois mois après le sauvetage du Congo, avec la création de la société Kontinent Congo, basée dans l’Etat du Delaware, aux Etats-Unis. « La coïncidence de calendrier nous fait craindre un possible conflit d’intérêts », estime Mariana Abreu, chargée de campagne au sein de Global Witness. « Argument saugrenu », rétorquent les avocats de M. Moussa.

Reste que mi-2015, Kontinent Congo se voit concéder des licences d’exploitation de champs pétroliers par Total et Eni. Le partenariat ne se concrétisera pas, puisque les deux géants de l’exploitation et de la distribution ont renoncé à ces permis fin 2016. José Veiga avait alors eu ses premiers démêlés judiciaires et le Parlement congolais n’avait pas encore ratifié les licences ajoutant Kontinent Congo comme partenaire.

Pour Global Witness, il n’en demeure pas moins que « la volonté apparente de Total et d’Eni de faire des affaires avec Veiga jette un doute considérable sur la qualité de leurs processus de vérification préalable et de leurs stratégies de réduction des risques ». Surtout, les accusations de l’organisation interviennent au moment où le Congo négocie avec le FMI un nouvel allégement de sa dette. Pour Mariana Abreu, cette affaire « souligne à quel point il est important pour le FMI d’imposer des critères stricts lors du sauvetage d’une économie ».