À Périgueux, mimer n’est pas singer
À Périgueux, mimer n’est pas singer
Par Frédéric Potet (Périgueux, envoyé spécial)
Créé il y a 35 ans en hommage à Marcel Marceau, figure tutélaire de la pantomime trop souvent imitée, le festival Mimos s’est élargi aux arts du geste.
La compagnie 3e étage dans « Stories told in acts ». | Benjamin Benhamou
En 1939, comme de nombreux civils alsaciens, Marcel Mangel est évacué à Périgueux. Le futur mime Marceau a alors 15 ans. C’est pour lui rendre hommage qu’un festival consacré à la pantomime a été créé dans la ville qui l’accueillit avec sa famille d’origine juive polonaise. Depuis 35 ans, Mimos présente ce qui se fait de mieux parmi cette discipline théâtrale dépourvue de parole, cette « statuaire immobile » comme l’appelait le mime Etienne Decroux, qui fut le professeur de Marceau.
Monsieur Culbuto dans les rues de Périgueux. | Anaïs Kervella
Le festival a été élargi aux « arts du geste » il y a dix ans par Chantal Achilli, la directrice de l’Odyssée, la scène conventionnée de Périgueux qui organise la manifestation. La pantomime stricto sensu n’est plus la seule expression artistique à figurer au programme. La danse, le cirque, les arts de la rue, la performance acrobatique, le théâtre masqué, la manipulation de marionnettes ou encore les installations plastiques y ont également leur place, à la condition sine qua non que le geste constitue le fil conducteur ou l’axe narratif des spectacles proposés. Cette année, Mimos en présente une quarantaine jusqu’au samedi 29 juillet, dont la moitié se déroulent gratuitement dans l’espace public.
Cet élargissement est la conséquence de l’influence que Marcel Marceau a exercé sur sa propre sphère. « Le mime est un genre qui reste extrêmement connoté. Pour le grand public, il s’agit forcément d’un personnage au visage blanc avec un pull rayé, et un peu rêveur. Marceau est en quelque sorte devenu « le » genre en lui-même, souligne Chantal Achilli. Pour durer, Mimos n’avait pas d’autre choix que se renouveler en s’ouvrant à des spectacles qui laissent la part belle aux corps et aux gestes, à la lisière des autres disciplines. L’idée est de montrer l’immense variété des possibles gestuels, mais aussi la façon dont de nombreux artistes s’affranchissent des codes de la pantomime classique. »
Johanna Gallard dans « L’Envol de la fourmi ». | Anaïs Kervella
Cette modernité, le public périgourdin (70 000 spectateurs sur une semaine) a pu la saisir, cette année, au fil de prestations jouant sur les notions d’équilibre et de déséquilibre. La funambule Johanne Humblet s’est élancée d’une place de la vieille ville pour rejoindre un jardin suspendu, situé quelques dizaines de mètres plus haut. La clown Johanna Gallard a fait danser des poules (vivantes) sur un fil de fer devant des enfants ébaubis. Le chorégraphe et danseur Josef Nadj a présenté sa dernière création, un hommage au poète hongrois Jozef Attila (1905-1937) mêlant musique et performance graphique. La troupe 3e étage, composée de solistes de l’Opéra de Paris, a donné un spectacle foutraque à l’humour débridé qui dynamite tout ce que l’on croit connaître de la danse académique.
Aurélien Kairo dans « Petite Fleur ». | DR
Loin de Marceau, le comédien Aurélien Kairo l’est lui aussi avec son corps enrobé et sa tenue d’agent de nettoyage chargé de faire le ménage dans la loge d’une chanteuse (dont il est amoureux) pendant que celle-ci donne son récital. Dans Petite fleur, son corps laisse libre cours à son imagination, au hasard des chansons qui parviennent à ses oreilles. Ce spectacle de moins d’une heure est mis en scène par Patrice Thibaud, un ancien membre de la compagnie de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff (les créateurs des Deschiens). Mime lui-même, il n’est pas loin de réfuter cette dénomination. La faute à Marceau encore lui, ou plutôt à ceux qui ont tenté de l’imiter.
« Il y a eu une toute une vague de mimes, dans les années 1970, qui ont fait du mauvais Marceau et qui ont porté préjudice à la corporation. Combien de fois ai-je entendu des spectateurs dire à la fin de mes numéros qu’ils étaient venus à reculons, de peur de s’emmerder ? Les programmateurs de salle sont eux-mêmes restés très méfiants aujourd’hui : ils « demandent à voir » quand on leur propose un spectacle à base de mime. Il vaut mieux leur dire qu’on fait une performance hybride, entre la danse et le théâtre : ça passera mieux », explique Patrice Thibaud, pour qui l’art de la pantomime regorge de génies cachés, qu’on ne classe jamais dans ses rangs, tels que Louis de Funès, Jacques Tati, Buster Keaton ou Jerry Lewis.
Tsabasa Watanabe dans « Hidden Place ». | Anaïs Kervella
Ces questions de dénomination se poseront moins le jour où la discipline aura avancé sur le chemin de la reconnaissance. À Périgueux, Chantal Achilli y travaille. En 2018, elle créera sur Internet So Mime, un centre de ressources consacré aux arts du mime et du geste. Y seront répertoriés les coordonnées des compagnies, leurs actualités, des vidéos, des contenus pédagogiques…
À terme, la plate-forme pourrait accompagner la création de formations dédiées à la pantomime dans les écoles nationales de théâtre. Deux d’entre elles proposeront une option mime dès la rentrée : l’École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine et l’Académie de l’Union à Limoges, ville où Marcel Marceau poursuivit ses études.
Festival Mimos, jusqu’au 29 juillet.