Fraude fiscale : qu’est-ce que le « verrou de Bercy » ?
Fraude fiscale : qu’est-ce que le « verrou de Bercy » ?
Par Clément Le Foll
Les députés ont rejeté mardi un amendement proposant une levée partielle du monopole du ministère du budget en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale.
Le verrou ne semble toujours pas près de sauter. Mardi 25 juillet à l’Assemblée nationale, au cours de l’examen du projet de loi restaurant la confiance dans l’action publique, les députés abordaient le sujet épineux du « verrou de Bercy ».
Après avoir rejeté un amendement qui suggérait la suppression pure et simple de ce dispositif, les députés se prononçaient sur une disposition proposant sa levée partielle. L’amendement, présenté par le sénateur communiste Eric Bocquet, avait été adopté à l’unanimité par le Sénat.
Au cours d’une séance agitée, cet amendement a été rejeté, malgré un consensus au sein de groupes parlementaires d’ordinaire opposés, La France insoumise, le PCF, Nouvelle Gauche et les Constructifs. Le groupe La République en marche a, lui, en majorité voté pour le maintien du verrou de Bercy.
Le résultat reflète la division qui règne sur ce sujet, le scrutin s’étant soldé par un écart de vingt-deux voix (155 contre 133). Un clivage qui s’était déjà manifesté lors du vote en commission, où la proposition du Sénat n’avait été rejetée que d’une voix.
Un monopole du ministère du budget
L’expression « verrou de Bercy » définit le monopole du ministère du budget en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. Seul Bercy dispose du droit de déposer plainte contre un individu soupçonné de malversations fiscales, un procureur ou une partie civile ne le pouvant pas. Selon la décision du ministre des finances, les fraudeurs peuvent donc éviter des poursuites judiciaires. Ce dispositif a été mis en place dans les années 1920, à la suite de la création de l’impôt sur le revenu des personnes physiques en 1917.
La loi du 29 décembre 1977 a permis l’apparition d’un nouvel acteur au verrou de Bercy. Le ministre du budget doit dorénavant saisir la commission des infractions fiscales (CIF), s’il désire engager des poursuites pénales. Sans un avis favorable, il est impossible pour le ministre de le faire. La décision revient donc également à la CIF, même si elle abonde toujours dans le sens du gouvernement.
D’après les documents consultables sur le site du gouvernement, cette commission est « composée de douze membres titulaires et douze membres suppléants choisis parmi les conseillers d’Etat et les conseillers maîtres à la Cour des comptes en activité ou à la retraite, étant précisé qu’au moins six membres titulaires doivent être en activité ». Le rôle de la CIF est défini par l’article 228 du Livre des procédures fiscales.
Le spectre de l’affaire Cahuzac
En 2013, l’affaire Cahuzac a mis en lumière certaines failles du verrou de Bercy. Après les révélations de Mediapart sur ses comptes à l’étranger, s’il n’avait pas démissionné, Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget, aurait dû décider s’il était nécessaire d’engager des poursuites contre lui-même.
Auteur d’un rapport intitulé « évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre », le sénateur communiste Eric Bocquet précise que c’est « sur le fondement du blanchiment de fraude fiscale, et non du délit de fraude fiscale lui-même, que, faute d’une plainte préalable de l’administration, le parquet de Paris a ouvert une enquête puis une instruction à l’encontre du précédent ministre chargé du budget Jérôme Cahuzac ».
L’avis du Conseil constitutionnel
Dans son rapport, le sénateur évoque également la contestation qu’engendre ce monopole de Bercy. Ce verrou serait un obstacle à la transparence, qui « prive certaines affaires de fraude complexe d’une double lecture qui pourrait pourtant s’avérer utile à la détection et à la répression d’une grande délinquance économique et financière par nature occulte ou dissimulée ». Eric Bocquet invite également à s’interroger sur la compatibilité de ce système avec le principe de la séparation des pouvoirs.
C’est ce qu’a fait l’avocat Eric Planchat, en mai 2016, lorsqu’il a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel, après la condamnation d’un de ses clients. Il estimait que le verrou de Bercy est « contraire au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire et au principe de séparation des pouvoirs ». Deux mois plus tard, le Conseil constitutionnel avait déclaré ce verrou de Bercy conforme à la Constitution, estimant que la loi « ne porte pas une atteinte disproportionnée au principe selon lequel le procureur de la République exerce librement (…) l’action publique ».