Le lancement de Joon pourrait tourner à la brouille entre Air France et KLM
Le lancement de Joon pourrait tourner à la brouille entre Air France et KLM
Le président du CE de KLM estime que l’accord conclu entre le SNPL et la direction d’Air France risque d’« amputer la croissance de la compagnie néerlandaise ».
Jan-Willem van Dijk, le président du CE de la compagnie néerlandaise, estime que Joon, le projet de filiale à bas coûts d’Air France, est « imprudent économiquement et potentiellement dommageable pour KLM ». | ERIC PIERMONT / AFP
Rien ne va plus entre Air France et KLM ! Aux Pays-Bas, les critiques fusent contre la stratégie de la compagnie française. L’annonce du lancement de Joon, la filiale à coûts réduits préparée par Air France, a mis le feu aux poudres. Dans un entretien, publié mardi 25 juillet, par le quotidien néerlandais Der Volkskrant, Jan-Willem van Dijk, président du comité d’entreprise (CE) de KLM, estime que Joon pourrait « porter préjudice » à KLM.
La flotte de la future filiale, dont le lancement est prévu fin octobre, doit principalement évoluer sur des lignes déficitaires ou abandonnées par Air France. Elle aura aussi pour tâche de séduire les « millennials », une clientèle plus jeune que celle d’Air France. La sortie du patron du CE de KLM a provoqué une certaine irritation côté français.
« L’accord “Trust Together” signé par les pilotes avec la direction d’Air France [et qui a permis la création de Joon] ne se fait absolument pas au détriment des salariés et des pilotes de KLM », rétorque, mercredi 26 juillet, Philippe Evain, président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).
Le fossé se creuse entre les deux compagnies
Très remonté, Jan-Willem van Dijk estime que le projet Joon est « imprudent économiquement et potentiellement dommageable pour KLM ». Il semble surtout que le président du CE n’a pas digéré que l’accord conclu entre le SNPL et la direction d’Air France prévoit de rééquilibrer l’activité en faveur de la compagnie française. « La croissance de KLM menace d’être amputée en faveur de celle d’Air France », a déploré M. van Dijk.
Un argument aussi brandi côté français. Il y a quelques jours, le président du SNPL appelait, en effet, au rééquilibrage de l’activité entre Air France et KLM. « Nous ne pouvons pas laisser l’entreprise continuer à avantager la partie hollandaise », s’indignait M. Evain. Chiffres à l’appui, il démontre que la balance penche lourdement en faveur de KLM. L’écart ne fait que s’accroître. « En cumulé, depuis 2017, la croissance en sièges au kilomètre offert [SKO] n’a progressé que de 1,2 % chez Air France alors que dans le même temps elle a crû de 6 % chez KLM », fait-il savoir. En termes de trafic passagers le différentiel est encore plus important. En juin, note le patron des pilotes, « il a augmenté en moyenne de 4,1 % chez Air France ». Très loin des performances de KLM, qui a bénéficié d’« une hausse moyenne de son trafic passagers de 6,5 % ».
Pour le président du SNPL, l’accord n’a pas pour objectif « de limiter la croissance de KLM. Il prévoit de réduire le déséquilibre créé depuis 2010 au bénéfice de KLM ». Selon lui, cela passera « par une croissance supplémentaire d’Air France qui ne se fera pas au détriment de KLM ».
« Grande méfiance mutuelle »
Cette passe d’armes illustre le fossé qui semble se creuser entre les deux compagnies. Une enquête menée à l’initiative de syndicats d’Air France et de KLM auprès de quarante-sept cadres dirigeants, et dévoilée à la mi-juillet, avait pointé « une grande méfiance mutuelle » entre les salariés des deux entités. Chaque partie accusant l’autre de vouloir tirer la couverture vers soi.
Le rapport d’une centaine de pages, rédigé par deux chercheurs, un Français et un Néerlandais, a mis au jour une fracture culturelle entre Air France et KLM. Pour les salariés français, les Hollandais seraient cupides : ils « ne pensent qu’à l’argent et sont toujours prêts à se battre pour le profit ». Côté néerlandais, on estime que les Français « sont attachés à une hiérarchie et à des intérêts politiques qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux de l’entreprise ». Une animosité qui flirte parfois avec la mesquinerie. Chez KLM, on s’exaspérerait de payer 10 euros pour son déjeuner contre seulement 4 euros chez Air France. A l’examen, nombre de salariés français pensent que les Néerlandais n’ont toujours pas digéré d’avoir été rachetés par Air France.
Cette somme de frustrations et ce désamour pourraient-ils entraîner un prochain divorce entre les deux compagnies ? L’enquête des deux chercheurs ne l’exclut pas. « On peut se demander si l’alliance [entre Air France et KLM] peut survivre, compte tenu de l’incompréhension mutuelle qui perdure entre les camps français et hollandais du groupe », conclu le rapport.