L’événement, en juillet 2016, était passé totalement inaperçu pratiquement partout en France. Seuls le quotidien La Montagne, dans son édition vichyssoise, et l’antenne de RCF dans l’Allier s’en étaient fait l’écho. Deux semaines avant le début des Jeux olympiques de Rio – qui avaient vu une délégation d’une dizaine d’athlètes réfugiés participer au rendez-vous sportif planétaire –, sept demandeurs d’asile soudanais montaient sur une autre scène mondiale, celle du festival Cultures du monde de Gannat. La comparaison peut paraître excessive, voire dithyrambique, mais c’est un peu comme ça que nous l’avions vécu.

Dans cette bourgade de 5 800 habitants, dans le sud de l’Allier, cela fait plus de quarante ans que l’on fête les cultures du monde. Des ballets folkloriques roumains ou russes, des enfants d’un carnaval de Corée du Sud, des tribus aborigènes d’un coin reculé de l’Afrique, des chanteurs québécois ou des étudiants danseurs de Colombie… Chaque année, pas moins d’une vingtaine de délégations composent le programme. Et en 2016 un groupe de « migrants » du Soudan.

« Nous n’avions plus de voix »

Le jour de l’ouverture, telles des batucadas en carnaval, les délégations défilent, dans leurs habits colorés, dans les rues de la petite ville, pleines à craquer, en chantant et en dansant. Et, au milieu, plusieurs fois, ces Soudanais, qui, l’été d’avant, avaient survécu à la traversée de la Méditerranée en radeau, ont dû se demander ce qu’ils faisaient là à taper des mains dans leurs djellabas blanches. « Nous n’avions pas compris que c’était comme ça. Nous n’avons plus de voix », protestait, mais sans cesser de sourire, l’un d’entre eux à la fin du défilé. Peut-être avais-je mal expliqué ce qu’était qu’un défilé. Ou alors pensaient-ils que c’était comme celui des JO, sans chants.

Tout a été à l’avenant : spontané, improvisé, limite rocambolesque. Du clavier trouvé sur le site Leboncoin dans la Creuse, la veille du début du festival, en passant par les soucis techniques, devant 2 500 spectateurs sur la grande scène, jusqu’aux improvisations avec des Italiens de Lampedusa (cela ne s’invente pas), des Colombiens chaleureux ou des Sud-Coréens pédagogiques, essayant de leur apprendre à danser le « Gangnam style » au bord de la rivière.

Ni des exclus ni des parias

Et pourtant, c’était tout sauf anodin, innocent ou fortuit. C’était à Gannat, et nulle part ailleurs, que ces réfugiés pouvaient être accueillis comme des égaux par des citoyens du monde entier. C’était à Gannat qu’ils pouvaient être applaudis comme des chanteurs de n’importe quelle autre nationalité, de n’importe quelle autre ethnie. C’était à Gannat qu’ils pouvaient obtenir l’élan et la confiance nécessaires pour continuer de jouer ailleurs.

Quand leurs visages sont apparus sur l’écran géant, mélangés à ceux des Russes, des Colombiens, des Italiens, des Sénégalais et de tous les autres durant la cérémonie de clôture, nous avons compris que le pari avait été réussi. Qu’ils n’étaient ni des exclus ni des parias. Qu’ils faisaient partie de l’humanité. Certains en ont pleuré, de joie. Ainsi fut la naissance de Soudan Célestins Music. Inoubliable.

Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités. Il est aussi membre de l’association Réseau Vichy solidaire.