TV : « Les Couleurs de la République »
TV : « Les Couleurs de la République »
Par Philippe-Jean Catinchi
Notre choix du soir. Avec Gaston Monnerville pour fil rouge, une réflexion sur l’histoire de France et ses « représentants de la diversité » au sein de la nation (sur LCP à 22 h 00).
Les couleurs de la République
Le brusque retournement opéré en Afrique du Sud où, l’apartheid à peine à terre, Nelson Mandela passa de l’obscurité des geôles à la pleine lumière de la présidence, le plus lent chemin des Noirs aux Etats-Unis, du rêve fracassé de Martin Luther King et du poing levé des athlètes sur le podium olympique à Mexico au double sacre d’Obama, n’en soulignent que davantage le paradoxe français.
La noble intention de la Ire République, abolissant l’esclavage dès 1794, avant le retour en arrière opéré sous le Consulat (1802), l’irréversible décision de la IIe République, sous l’impulsion décisive de Victor Schoelcher (1848), qui donne la pleine citoyenneté à des Français jusque-là considérés comme des biens personnels, auguraient d’un autre destin. Pourtant, par deux fois, l’un des plus brillants hommes politiques du XXe siècle – l’un des plus courageux aussi, osant à l’automne 1962 tenir tête à Charles de Gaulle, à l’occasion du référendum sur l’élection présidentielle au suffrage universel – manqua de devenir chef de l’Etat sous deux Républiques différentes.
Gaston Monnerville chez Bernard Pivot
Président du conseil de la République (sous la IVe, le Sénat) depuis mars 1947, le radical guyanais Gaston Monnerville (1897-1991) aurait dû être présenté par son parti pour succéder à Vincent Auriol à la présidence de la République, selon l’usage. Son parcours brillant, son action politique au sein des gouvernements Chautemps sous le Front populaire – député de la Guyane, il parvient à faire abolir le bagne de Cayenne –, son implication dans la Résistance et sa mission à la Libération pour préparer le statut de l’outre-mer, tout concourt à faire de lui un candidat exemplaire pour l’Elysée. N’était la couleur de sa peau… Finalement, les radicaux préfèrent le vice-président René Coty, péniblement élu au 13e tour de scrutin…
L’Elysée manqué de peu
Quittant la présidence du Sénat à la naissance de la Ve République, Gaston Monnerville se démet en octobre 1968, manquant, à six mois près, l’intérim à la tête de l’Etat lors de la démission du général de Gaulle. Il était dit que l’Elysée ne serait pas pour lui…
Rien d’étonnant alors à ce que le personnage serve de fil rouge à cette évocation des « indigènes » de la République. En meilleure place à la base comme au sommet quand il s’agit de « faire de l’image », les « représentants de la diversité » – formule surprenante si tous les citoyens sont égaux – peinent à ne pas être instrumentalisés dans un jeu politique où les quotas les réduisent à de commodes alibis. On regrettera quelques scories (Césaire disparu en 2008 et non en 2003…), la parole des témoins – Ericka Bareigts, Christiane Taubira, Myriam El Khomri, Chantal Berthelot : souvent des femmes puisque leur promotion satisfait deux obligations paritaires, ce qui est tristement astucieux – a une force et une pertinence qui font prendre conscience du caractère inique de la frilosité actuelle.
Les Couleurs de la République, de Nina Barbier (Fr., 2016, 60 min).