Delphinariums : les ONG gagnent une manche devant le Conseil d’Etat
Delphinariums : les ONG gagnent une manche devant le Conseil d’Etat
Par Audrey Garric
La juridiction suprême n’a pas suspendu l’interdiction de reproduction de dauphins et d’orques en captivité, contrairement à la demande des parcs marins de l’Hexagone.
Un spectacle de dauphins au Marineland d’Antibes, en mai. | Eric Gaillard / REUTERS
Nouveaux remous dans les bassins. Mardi 1er août, le Conseil d’Etat, saisi par trois parcs marins, a suspendu une mesure de l’arrêté interministériel sur les delphinariums, celle qui interdit l’usage du chlore pour traiter les bassins. Il a estimé que la date d’entrée en vigueur de cette obligation, dans un délai de six mois, était trop courte pour réaliser les travaux nécessaires.
La juridiction administrative suprême n’a en revanche pas suspendu l’interdiction de reproduction de dauphins et d’orques en captivité, ce que demandaient en premier lieu les trois établissements hexagonaux : le Marineland d’Antibes (Alpes-Maritimes), le plus grand d’Europe avec un million de visiteurs par an, le parc Astérix (Oise) et Planète sauvage (Loire-Atlantique). Le Conseil d’Etat se prononcera sur le fond du texte après l’été, à la suite d’un autre recours, en annulation cette fois, déposé par les établissements zoologiques.
Le texte incriminé est celui publié le 6 mai, à la veille du second tour de l’élection présidentielle, par l’ancienne ministre de l’environnement Ségolène Royal pour améliorer les conditions de détention des cétacés. Au tout dernier moment, elle y avait glissé un changement majeur : l’interdiction de la captivité de dauphins et d’orques à l’exception de ceux actuellement détenus sur le territoire. Ce qui signifie, derrière cette formulation alambiquée, la fin de la reproduction de ces cétacés, de même que les échanges avec d’autres bassins. Et donc, à terme, l’arrêt des delphinariums français.
Les parcs, qui accueillent vingt-six grands dauphins et quatre orques, n’ont pas attendu les recours de leurs avocats devant le Conseil d’Etat pour contre-attaquer : ils ont immédiatement mobilisé leur public, en diffusant des pétitions de soutien et des messages à la fin des spectacles, et fait intervenir leurs soigneurs pour défendre leur travail.
« Traitement cruel des animaux »
Le conflit s’est désormais déplacé sur le terrain du droit. Lors de l’audience devant le juge administratif lundi, les établissements marins ont défendu leur existence face au ministère de la transition écologique et aux associations. « Interdire la reproduction constitue un traitement cruel des animaux, a avancé Emmanuel Piwnica, l’avocat du Marineland d’Antibes. Les dauphins sont des êtres sociables. On ne peut pas séparer les mâles des femelles si on veut bien les traiter. » Quant à la contraception, a-t-il estimé, elle est « possible mais ne peut pas être une solution définitive ».
L’avocat, qui a dénoncé « le caractère totalement excessif et contradictoire » de l’arrêté, a par ailleurs contesté la compétence du ministre de l’environnement pour « prononcer une interdiction générale et absolue de toute forme de reproduction » : « Cela relève du pouvoir législatif », a-t-il jugé, ce que conteste le ministère. Les représentants de l’Etat ont toutefois concédé que des dérogations pourront être délivrées. Et d’assurer : « Si une naissance a lieu, en dépit des mesures de contraception, on ne va pas exiger d’euthanasier l’animal ou de le déplacer dans un autre bassin. »
Les associations, de leur côté, ont dénoncé l’utilisation de l’argument du bien-être animal par les delphinariums. « Ne pas donner naissance n’entraîne pas de souffrance, réfute Arielle Moreau, l’avocate de One Voice. Les animaux ne peuvent exprimer aucun de leurs comportements naturels en captivité. La reproduction n’a qu’un but lucratif pour les parcs. » « La contraception, de même que l’isolement, est déjà pratiquée chez les cétacés, en particulier les orques », ajoute Christine Grandjean. La présidente de C’est assez ! rappelle en outre que « depuis deux ans, dix cétacés sont décédés dans des parcs marins français », dont un delphineau au parc Astérix à la fin de juillet.
Interdiction du chlore
Concernant l’interdiction du chlore pour traiter les bassins, une mesure qui devait entrer en vigueur au début de novembre, selon l’arrêté, les parcs ont affirmé qu’« il n’existe pas de solution alternative aujourd’hui ». A l’inverse, les associations, qui « jugent que ce produit chimique irrite les mammifères », ont cité des exemples de bassins fonctionnant à l’ozone à l’étranger.
L’arrêté prévoit de nombreuses autres dispositions afin de moderniser des établissements de plus en plus soumis aux critiques. Dans un délai de trois ans, les parcs devront augmenter la taille des bassins, en surface et en profondeur. Ils devront en outre prévoir des « enrichissements » (courants, vagues, cascades, etc.) pour éviter « l’ennui et la frustration des animaux », ainsi que la présence de zones d’ombre. La nouvelle réglementation interdit également, dans un délai de six mois, l’échouage des animaux pour les spectacles, les présentations nocturnes, les effets sonores et lumineux et les contacts directs entre le public et les cétacés.