« Bien que les questions de sécurité restent prégnantes, la CGT pense qu’il faut avoir le courage de poser publiquement la question des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine pour les peines les plus courtes ». | DAVE NAKAYAMA/FLICKR/CC BY 2.0

TRIBUNE. L’ancien directeur de l’administration pénitentiaire, Philippe Galli, a écrit une tribune dans l’édition du Monde du jeudi 29 juin. Selon lui, les syndicats pénitentiaires dirigeraient notre administration. Que ne nous a-t-il pas fait profiter de ses idées lorsqu’il fut brièvement aux responsabilités !

La partie sur les personnels et sur les syndicats est inexacte et caricaturale. Un jeune surveillant gagnerait « 1 800 euros net par mois ». Oui, mais à condition de faire 35 heures supplémentaires. Il affirme que la violence syndicale témoigne d’un « refus de vouloir établir un consensus minimal » entre syndicats et dirigeants. M. Galli oublie les accords signés en 2015 où furent actées des mesures consensuelles concernant la formation, les métiers et leurs évolutions, les nouvelles missions, l’emploi, le dialogue social. Ce n’est pas de notre responsabilité si M. Galli, dès son arrivée, engluait les réunions sur les seuls points relatifs aux nouvelles missions puis sur le renseignement et la lutte contre la radicalisation.

Ce que ne digère pas M. Galli, c’est que, pour une fois, dans ce ministère, le politique dirigeait l’administration et non l’inverse. Quoi de plus normal ? D’où le règlement de compte sur les droits syndicaux qui seraient trop favorables. Là aussi il y a tromperie puisqu’une série de négociations sur ce thème est en cours.

Bataille éculée et perdue d’avance

Enfin, l’ancien directeur de l’administration pénitentiaire devrait le savoir. Pour les personnels, œuvrer en détention, c’est jouer au quotidien sa santé physique et mentale, première cause d’absentéisme. M. Galli conclut que « l’enjeu premier, pour le nouveau garde des sceaux, c’est la ressource humaine ». Oui, mais les perspectives de départ à la retraite, les projections d’ouverture d’établissements, le renforcement des effectifs de détention, les nouvelles missions en lien avec les extractions judiciaires, etc., indiquent qu’il faudra mécaniquement plus de moyens.

30 % des détenus présentent des pathologies psychiatriques et psychologiques complexes

La CGT alerte contre le dogme des ressources humaines ayant pour seul but de rattraper la courbe exponentielle du nombre des détenus ! Bataille éculée et perdue d’avance. L’enjeu premier de la nouvelle ministre reste dans l’élaboration d’une nouvelle politique pénale sans laquelle les problèmes perdureront. De mois en mois, la situation des prisons s’aggrave. C’est dû notamment à une hausse continue du nombre de prévenus depuis 2016 et plus globalement depuis novembre 2015 suite aux terribles événements du Bataclan. La surpopulation entraîne, tôt ou tard, des phénomènes difficiles à contenir : promiscuité, manque d’hygiène et insalubrité, tensions entre détenus et avec les personnels, etc.

Rappelons aussi que 30 % des détenus présentent des pathologies psychiatriques et psychologiques complexes qui ne peuvent être traitées en établissement pénitentiaire, ce n’est pas leur mission. Face à cette poussée carcérale, tous les feux sont au rouge : il devient urgent que la politique pénale évolue et fasse place à un réel projet de lutte contre les récidives et de réinsertion des personnes détenues.

La question des alternatives à l’incarcération

Sans vouloir « vider les prisons », il y a un premier axe à tenir en direction des courtes peines : au 1er janvier 2015, 36 % des personnes écrouées condamnées exécutaient une peine de moins d’un an, cette proportion s’établissant à 65 % en y ajoutant les personnes exécutant une peine inférieure à trois ans. Nous sommes loin des situations d’individus qui font la une des médias. Sous prétexte qu’elles occupent la sphère publique, elles modèlent l’ensemble de la politique pénale « à leur image ».

Nous subissons une réforme permanente qui occulte volontairement les problèmes de fond

Bien que les questions de sécurité restent prégnantes, la CGT pense qu’il faut avoir le courage de poser publiquement la question des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine pour les peines les plus courtes. Sans « mettre tout le monde dehors », il est nécessaire d’œuvrer pour retirer le caractère criminogène à la prison, donc lutter contre les récidives et permettre de baisser le niveau des détentions.

Mais rien ne change. Nous subissons une réforme permanente qui occulte volontairement les problèmes de fond. Ces réformes ne peuvent qu’être rejetées par des professionnels dont la connaissance du terrain et les besoins réels pour faire face à la complexification des missions sont au mieux ignorés, au pire méprisés.

Logiques répressives et économiques

Toute révision de la place du surveillant en détention, toute ambition pour les missions des travailleurs sociaux sont ignorées au profit de la « sécurité sécuritaire ». Le sens de leur intervention est rendu illisible tant pour eux-mêmes que pour la population pénale. Pire, les réformes placent les personnels dans des situations de grande fragilité et d’insécurité par le manque criant de moyens pour les appliquer.

L’emballement du système répressif français, l’asphyxie du service public, les dérives bureaucratiques, l’incohérente politique qui vise à conférer des droits nouveaux sans mettre les moyens en face, ne sont pas dignes du système judiciaire français. Nos métiers, nos missions, sont compris d’une manière de plus en plus restrictive, cantonnée à la question de la sécurité. Prisonnière des logiques répressives et économiques, l’administration pénitentiaire n’apporte aucune réflexion constructive sur les pratiques des professionnels.

Face à ces dérives dangereuses, la CGT continue de penser que la lutte contre la délinquance passe d’abord par une action sur ses causes, qui ne peuvent se réduire à la seule responsabilité individuelle, encore moins à la seule personnalité des condamnés qui ne doit pas devenir l’instrument de mesure de l’échelle des peines. L’emprisonnement doit réellement devenir l’exception au profit d’une politique promouvant la probation. L’aménagement des courtes peines et le prononcé de peines alternatives doivent donc devenir la règle avec pour objectif la réinsertion sociale des personnes condamnées autour de laquelle doivent travailler ensemble toutes les catégories de personnels pénitentiaires.

« Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison » (Victor Hugo)