LES CHOIX DE LA MATINALE

Les sorties de ce 2 août sont dominées par une paire de troisièmes volets. Cars 3 n’ajoutera pas grand-chose à la réputation du studio Pixar, mais La Planète des singes : suprématie file avec un bonheur certain les thèmes apocalyptiques de la série. Et si l’on veut profiter de la pause pour refaire connaissance avec les classiques, c’est le moment. Don Luis Buñuel redescend du panthéon avec une poignée de classiques, dont l’un – Le Journal d’une femme de chambre – permettra de revoir Jeanne Moreau dans un de ses grands rôles. On peut aussi revoir sur grand écran, pour la première fois depuis longtemps, l’un des plus beaux films d’Alfred Hitchcock.

« La Planète des singes : suprématie » : le langage des singes

La Planète des Singes - Suprématie | Bande Annonce Finale [Officielle] VOST HD

Depuis ses débuts à l’écran, l’une des grandes forces de la saga inspirée du roman de Pierre Boulle (La Planète des singes, 1963) est de susciter des figurations politiques au cœur même des enjeux les plus spectaculaires du cinéma hollywoodien. Dans la dernière version de cette épopée, inaugurée en 2010, César (Andy Serkis) s’est affirmé peu à peu comme le chef du peuple des singes, dont il a fomenté le soulèvement.

Dans ce nouvel épisode, le leader est fatigué. Il se lance dans une vendetta personnelle contre une bande de mercenaires, assassins de sa famille. On regrette d’abord la réduction des enjeux aux motivations familiales du héros. On ne retrouve l’inspiration des volets précédents que lorsqu’il est question de langage. En effet, tandis que les singes développent les registres de leur communication, les humains sont frappés par un virus qui les rend aphones.

Il faut attendre son dernier tiers pour que le film regagne un territoire ouvertement politique, à travers l’affrontement entre César et un colonel halluciné (Woody Harrelson en flagrant délit de cabotinage). Cet épisode semble surtout préparer le terrain d’une suite, mais La Planète des singes n’en demeure pas moins l’un des blockbusters les plus stimulants de la saison. Mathieu Macheret

Film américain de Matt Reeves. Avec Andy Serkis, Woody Harrelson, Steve Zahn, Karin Konoval (2 h 20).

« Hostages » : fragments d’une fin d’empire

HOSTAGES | BANDE ANNONCE VOSTFR //Drame (2017)

S’il est un territoire sur lequel le cinéma des pays de la défunte Union soviétique s’est rarement aventuré, c’est justement celui de l’agonie de l’empire. Hostages mérite d’être vu parce qu’il pose un regard, celui d’un jeune réalisateur géorgien, Rezo Gigineishvili, né en 1982, sur l’un des événements les plus symptomatiques de la décomposition à venir de l’URSS. Que ce regard soit fragmentaire et, au bout du compte, presque timide, empêche le film de s’élever à la hauteur de son sujet, sans lui enlever – loin de là – tout son intérêt. 

Dans la nuit du 18 au 19 novembre 1983, un appareil des lignes intérieures d’Aeroflot était détourné entre Tbilissi et Batoumi, station balnéaire sur la mer Noire, par des pirates de l’air qui voulaient gagner la Turquie voisine. Le pilote parvenait à ramener l’appareil à Tbilissi et, au bout de quelques heures, les forces armées donnaient l’assaut. Le bilan fut de sept morts, deux passagers, trois membres d’équipage et deux pirates de l’air. Le détournement était l’œuvre d’un groupe de neuf jeunes gens issus de la bonne société géorgienne, sept garçons et deux filles. Le procès des survivants se conclut par la condamnation à mort de quatre d’entre eux.

Efficace pendant la première partie du film (la préparation du détournement), le découpage en vignettes permet de donner par petits morceaux l’image d’un système déliquescent. Ce découpage s’avère moins efficace lorsqu’il s’agit de raconter le détournement, le bain de sang et ses conséquences. Les personnages s’éloignent ; reste simplement le goût amer d’une histoire sanglante rendue inévitable par l’inhumanité absurde d’un système. Thomas Sotinel

Film géorgien de Rezo Gigineishvili, avec Tina Dalakishvili, Irakli Kvirikadze, Giga Datiashvili (1 h 43)

Don Luis, chroniqueur surréaliste de la réalité française : sept films de Buñuel

Rétrospective Luis Buñuel, un souffle de liberté : bande-annonce

Après avoir passé quinze ans et tourné une vingtaine de films au Mexique, Luis Buñuel, né au cinéma dans le giron du surréalisme, revient en Europe au début des années 1960 et achève sa carrière en France. Entre 1964 et 1977, il lègue au cinéma hexagonal un cycle génial de sept films atypiques, qui ressortent tous en version restaurée. L’époustouflante cohérence de cette dernière période est due au fait que Buñuel s’était entouré d’une troupe de fidèles collaborateurs, dont le producteur Serge Silberman et le scénariste Jean-Claude Carrière, et d’acteurs récurrents, comme Michel Piccoli, Fernando Rey, Catherine Deneuve.

Cette série, dont on ne retient généralement que les extravagances narratives et les embardées oniriques, apparaît aujourd’hui comme le tableau le plus virulent, le plus drôle et finalement le plus juste de la France des années 1970. Dans Le Journal d’une femme de chambre (1964), d’après Octave Mirbeau, l’arrivée d’une petite bonne parisienne (Jeanne Moreau) dans une vieille maison bourgeoise, au fin fond de la campagne, fait turbiner les pulsions du voisinage et cristallise la montée du fascisme ambiant.

Dans Belle de jour (1967), d’après Joseph Kessel, une jeune épouse (Catherine Deneuve) rêve de se rouler dans la fange et s’essaye à la prostitution. Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) décrit les tentatives infructueuses de trois couples huppés pour mener à bien un simple repas, à chaque fois interrompu. Toujours, les logiques contrariées du rêve, du fantasme, de l’imaginaire, s’invitent imperceptiblement dans le cours du récit et le font dérailler.

La rétrospective donne enfin l’occasion de se pencher sur deux films moins connus du « dernier Buñuel ». Dans La Voie lactée (1969), la route de deux pèlerins vers Saint-Jacques-de-Compostelle est jalonnée de scènes mystiques, reflétant la confrontation des dogmes et des hérésies de l’Eglise catholique. Enfin, l’extraordinaire Fantôme de la liberté (1974), jeu vertigineux sous forme de marabout-bout-de-ficelle, nous promène à travers des scènes délirantes où les repères ordinaires de la réalité bourgeoise sont magistralement subvertis. M. M.

Sept films de Luis Buñuel : Le Journal d’une femme de chambre (1964), avec Jeanne Moreau, Michel Piccoli (1 h 40), Belle de jour (1967), avec Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Pierre Clémenti (1 h 40), La Voie lactée (1969), avec Laurent Terzieff, Delphine Seyrig (1 h 41), Tristana (1970), avec Catherine Deneuve, Fernando Rey (1 h 40), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), avec Fernando Rey, Bulle Ogier, Delphine Seyrig (1 h 40), Le Fantôme de la liberté (1974), avec Jean-Claude Brialy, Michel Piccoli, Claude Piéplu, Monica Vitti, Cet obscur objet du désir (1977), avec Carole Bouquet, Angela Molina (1 h 45).

« L’ombre d’un doute » : qui est Charlie ?

Joseph Cotten et Hume Cronyn dans « L’Ombre d’un doute », d’Alfred Hitchcock (1943). | SWASHBUCKLER FILMS

En 1943, Alfred Hitchcock n’offre aucun répit à ses spectateurs plongés dans un monde en guerre aux lendemains incertains. Certes, le réalisateur britannique, installé depuis 1939 à Hollywood, abandonne pour un temps les thèmes guerriers, mais sans pour autant offrir un tant soit peu de réconfort.

Pour L’Ombre d’un doute, Hitchcock a emprunté Joseph Cotten à Orson Welles et en a fait l’oncle Charlie, un criminel au physique avenant, qui trompe son monde, à l’exception de sa nièce Charlie (Teresa Wright). Pour la première fois, le Londonien plonge dans les tréfonds de la réalité américaine (sur un scénario du dramaturge Thornton Wilder). Son portrait d’une petite ville est détaillé, ironique, qui montre la fragilité de l’édifice face à la mécanique du crime. Et une fois de plus, l’auteur d’Une femme disparaît et de L’Inconnu du Nord-Express met en garde contre les périls du transport ferroviaire.

A la fin de sa vie, Alfred Hitchcock a répété à plusieurs reprises qu’il considérait L’Ombre d’un doute comme son meilleur film. On a beau être inconditionnel de Jeune et innocent et de Fenêtre sur cour, on ne peut pas lui donner tout à fait tort. T. S.

Film américain d’Alfred Hitchcock (1943), avec Joseph Cotten, Teresa Wright, Hume Cronyn (1 h 48).