De gauche à droite : Emma Suarez (Avril), Joanna Larequi (Clara) et Ana Valeria Becerril (Valeria) dans « Les Filles d’Avril », de Michel Franco. | ALEXANDRA BAS

L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Il y a, sans conteste, un cas Michel Franco. Ce réalisateur mexicain de 38 ans ne peut apparemment signer un film dont on sorte sans éprouver, en même temps que le choc de sa découverte, un assez profond malaise. Il s’agit, au mieux, d’une sorte d’indécision morale que l’on finit par congédier tant elle se prolonge. Au pire, d’un rejet immédiat. Du moins ne laisse-t-il jamais indifférent. Dans Daniel et Ana (2009), un frère et une sœur sont kidnappés et forcés de coucher ensemble. Dans Despues de Lucia (2012), une jolie orpheline se fait violemment martyriser dans son lycée. Dans Chronic (2015), un aide-soignant vampirise des malades en fin de vie.

Un autre cas extrême, du ressort de la psychopathologie, nourrit Les Filles d’Avril. Le réalisateur prend son temps pour l’exposer, par un effet retard qui désoriente tout d’abord le spectateur, pour mieux le cueillir ensuite. Deux ­demi-sœurs vivent seules dans une grande maison de vacances. Clara, l’aînée, éteinte et en surcharge pondérale, gère le quotidien sans passion. ­Valeria, la cadette, du haut de son insouciance et de ses 17 ans, fait bruyamment l’amour avec son copain Mateo, jeune homme sans caractère ni qualité, le ­couple se préparant à accueillir l’enfant dont Valeria est enceinte.

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Une séduction hystérique

Le film s’étire ainsi quelque temps, dont on peine à comprendre l’enjeu, tout en constatant l’intrigante absence des parents. L’arrivée inopinée de la mère, Avril, séduisante quadragénaire qui a élevé seule ses filles, met insensiblement le film sur les rails d’une machination perverse qui sera, implacablement, menée jusqu’à son terme. Il s’avère bien vite, en effet, que Valeria et Mateo, aussi immatures l’un que l’autre, éprouvent la plus grande difficulté à s’occuper de leur bébé. Avec l’accord des parents de Mateo, deux individus épais et indifférents, Avril passe alors, avec l’habileté d’une femme monstrueusement calculatrice et l’alibi d’une fille démissionnaire, à l’action. Elle soustrait d’abord légalement l’enfant à sa mère, le confie temporairement à une nourrice, puis s’enfuit avec le bébé en emmenant dans ses bagages le père de la fillette qu’elle s’est attaché comme amant.

Ne doutons pas que la réalité, non moins prodigue que la fiction en histoires tordues, ne recèle des cas semblables. Disons simplement que la manière incontestablement saisissante dont le réalisateur met celui-ci en scène ne laisse de chance à aucun personnage, tous tant qu’ils sont étant affligés d’une tare mentale qui semble congénitale ou héréditaire. Les raisons des personnages, qui auraient précisément pu leur conférer l’humanité qui leur manque, sont délibérément laissées dans l’ombre. Le spectateur est donc prié de se contenter de ce déprimant tableau clinique, et de jouir, ou pas, de la séduction hystérique que le talent d’Emma Suarez parvient à lui conférer.

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LES FILLES D'AVRIL - de Michel Franco - Bande Annonce VOST

Film mexicain de Michel Franco. Avec Emma Suarez, Ana Valeria Becerril, Enrique Arrizon, Joanna Larequi (1 h 42). Sur le Web : www.vo-st.fr/distribution et www.luciafilms.com/las-hijas-de-abril