Que reste-t-il de la mixité sociale des colonies de vacances ?
Que reste-t-il de la mixité sociale des colonies de vacances ?
Par Mathilde Damgé
Parmi les trois types de colonies de vacances, celles organisées par les collectivités ou par des associations ont du plomb dans l’aile, tandis que celles du privé grignotent du terrain.
C’est la troisième année consécutive que le ministère de l’éducation nationale mène sa campagne de communication « 100 % #colo ». Une campagne qui n’a pourtant pas le succès escompté, si l’on en croit les chiffres de fréquentation : en 2016, environ 800 000 enfants ont été accueillis dans des colonies de vacances contre plus d’un million en 2007. Ils étaient quatre fois plus nombreux dans les années 1960.
Outre cette baisse de popularité des « colos », c’est une autre question qui agite les acteurs de l’accueil collectif des mineurs (ACM) : la privatisation du secteur et l’exclusion consécutive d’une partie de la population.
« Le modèle des colonies généralistes de la période 1960-1980, dans lesquelles on envoyait ses enfants pendant deux à quatre semaines l’été quel que soit son milieu social, a quasiment disparu. Or, celles-ci mélangeaient beaucoup plus les classes sociales, les âges et les sexes. A quelques exceptions près, la colo n’est plus ce lieu de brassage social des jeunes », juge Yves Raibaud, spécialiste de la géographie des discriminations et des loisirs des jeunes et coauteur d’un rapport collectif sur la question en 2016.
Les députés interpellés
En effet, parmi les trois types de colonies de vacances, celles organisées par les collectivités – en général le département – ou par des associations ont du plomb dans l’aile. La Jeunesse au plein air (JPA), un organisme qui soutient financièrement les départs, a interpellé les députés sur ce qu’elle considère être une atteinte à la mixité sociale, le 21 juillet.
« La dégradation du pouvoir d’achat des familles a rendu l’accès aux colonies de vacances plus difficile, notamment pour les enfants des familles à revenus moyens », analyse l’organisme, selon qui les familles de classe moyenne sont les plus touchées par cette évolution.
Les enfants qui partent en colonies de vacances sont ceux dont les parents bénéficient d’aides, ou ceux des familles à hauts revenus, alors que le coût moyen d’une semaine en colonie oscille entre 400 et 600 euros en moyenne (et jusqu’à 2 000 euros dans le privé).
Et les collectivités territoriales et les associations ont du mal à maintenir leurs offres compétitives : stagnation des subventions et mise en place de normes de plus en plus strictes imposées aux organisateurs (en matière d’accessibilité, d’hygiène, d’encadrement, etc.) font augmenter le coût des colonies.
Segmentation concurrentielle
Investi par les entreprises privées depuis la fin des Trente Glorieuses, le marché des colonies de vacances a de plus vu se multiplier les offres de séjours thématiques, ce qui participe à augmenter la segmentation. « Il existe une gamme large et variée de colonies, spécialisées par thème : sports, nature, sciences, arts… Cette spécialisation, qui est apparue à la fin des années 1980, a conduit à séparer les enfants, selon Yves Raibaud. Les colos sont entrées dans un champ concurrentiel où, pour capter les enfants, il faut surenchérir dans l’offre d’activités : équitation, orchestre, plongée sous-marine, astronomie… Caractéristiques des classes supérieures, ces activités de loisirs consacrent la séparation des publics et discriminent les enfants de milieux populaires. »
Le résultat d’une telle multiplication de l’offre est d’augmenter l’exclusion. Comme le décrit Jean-Michel Bocquet, doctorant en sciences de l’éducation et coauteur du rapport de 2016, ce qui prévaut aujourd’hui est « un modèle pédagogique et économique produisant de l’exclusion ».
Pour le chercheur, le premier élément est « le basculement des colos dans le domaine de la gestion hôtelière : on monte en gamme pour aller chercher des clients haut de gamme, ce qui augmente les investissements ». Une évolution qui va de pair avec « le fantasme du zéro risque, qui maintient un haut niveau de normes de sécurité, parfois inaccessible ».
Des centres de vacances sur Leboncoin.fr
Public et privé confondus, les séjours sont aussi très inégalement répartis sur le territoire : outre l’attrait touristique de certaines régions, ce sont souvent les départements les plus riches qui concentrent le plus de séjours en colonies de vacances.
Il ne reste aujourd’hui qu’un tiers du patrimoine des colonies en fonction en Loire-Atlantique et en Vendée. La situation est encore plus dramatique dans les Alpes-Maritimes, qui n’ont gardé qu’un centre sur les cinquante qu’elles détenaient au début des années 1960.
En Savoie, le maire de Roissy-en-Brie a déclassé du domaine communal le chalet de Champagny-en-Vanoise, situé à côté de La Plagne et propriété de la ville depuis 1978. Il est en vente sur le site Leboncoin.fr pour plus d’un million d’euros.
Un choix politique
A l’image de nombreux connaisseurs du secteur, Bertrand Réau, du Centre européen de sociologie et de science politique (université Paris 1-Panthéon Sorbonne) estime que la mixité dans les vacances des enfants relève d’un « choix politique ».
La question n’est toutefois pas forcément bien intégrée par les pouvoirs publics. Le rapport du collectif, qui était censé évaluer le dispositif « Génération Camp Colo », a été refusé par le ministre de l’éducation de l’époque. « L’innovation est portée par des expérimentations ultra-locales, qui ne sont pas toujours repérées par les grands organisateurs, ni par le ministère qui ne fait plus que du contrôle, sans accompagnement. C’est ce qu’on a écrit dans notre rapport, et c’est ce qui ne leur a pas plu », justifie Jean-Michel Bocquet.
Interrogé par Le Monde, le ministère dont dépend désormais le sujet (la thématique jeunesse a été reprise par l’éducation nationale) n’a pas répondu à nos questions sur l’évolution éventuelle de dispositifs visant à réinjecter de la mixité.
Dans le cadre de sa campagne, la JPA, elle, propose plusieurs pistes pour que les « colos » renouent avec le brassage social : elle milite pour que les parents puissent ouvrir un « compte épargne colos » qui ne serait pas soumis aux impôts, et sollicite, pour aider les familles qui en ont besoin, la création d’un « chèque colo ».
Elle reprend aussi la proposition du député socialiste Michel Ménard, qui appelait dans un rapport de 2013 à la création d’un fonds national de solidarité, alimenté par une taxe sur l’hôtellerie de luxe et destiné à financer le départ d’enfants qui ne partent jamais en vacances. Selon l’Insee, chaque année, près de 3 millions d’enfants et adolescents, soit un quart des 6-18 ans, restent en effet chez eux lors des congés scolaires.
La réflexion politique sur les colonies de vacances, un processus avorté
En 2013, la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, Valérie Fourneyron, ouvre le chantier de rénovation du secteur des colonies de vacances à but non lucratif : c’est le projet d’expérimentation « Colos nouvelle génération ». La ministre souhaite mettre en place un label permettant de faire la distinction entre ceux qui font de la mixité sociale et ceux qui n’en font pas. Elle constitue un groupe de travail nommé « groupe colo » avec les acteurs du secteur : les fédérations d’éducation populaire, la JPA, l’UNAT, les scouts et quelques associations.
L’année suivante, Najat Vallaud-Belkacem, nommée ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, dit lors d’une question au Sénat que le label verra le jour à la rentrée 2014, sous couvert d’une charte. Ce ne sera pas le cas mais, à la suite des attentats de janvier 2015, le « groupe colo » est intégré au comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté (CIEC). C’est la naissance du dispositif #GenerationCampColo.
Cet appel à projets permet aux organisateurs agréés « jeunesse et éducation populaire » de lancer des projets innovants (par exemple, l’absence de prestataires et les circuits courts) et centrés sur la mixité. Une évaluation est prévue mais le résultat est rejeté par l’administration au motif qu’elle ne répond pas aux obligations du cahier des charges.
Pour les évaluateurs, un collectif de spécialistes du secteur, « le conflit est politique ». « Nous montrons que le marché (par la segmentation) et les politiques publiques (par le ciblage de populations) séparent les publics. Pour construire de la mixité, il est nécessaire de revoir et repenser la manière de construire, de faire, d’organiser et de vendre les colos », explique le collectif.
Côté ministère, même sous une nouvelle majorité, les campagnes de communication et les dispositifs s’enchaînent : en 2017, « Colos nouvelles générations » a été doté d’un budget de 2 492 000 euros. Sans qu’un bilan ou un compte rendu public de l’action de ces dispositifs ait été rendu public.