Le foot mondial, au miroir de la folie Neymar
Le foot mondial, au miroir de la folie Neymar
Editorial. Le PSG vient de s’offrir le joueur brésilien pour le montant irréel de 222 millions d’euros, on aimerait entendre les mots « régulation » et « redistribution »...
Neymar et le président du PSG Nasser Al-Khelaifi, lors de la conférence de presse du 4 août. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
Editorial du « Monde ». Des dribbles étourdissants, des passements de jambes mystifiants, des coups francs foudroyants valent donc des centaines de millions d’euros. Le rêve, dit-on, n’a pas de prix. Et sur la planète football, aujourd’hui, le rêve s’appelle Neymar, ce Brésilien surdoué que vient de s’offrir le Paris-SG dans l’espoir d’entrer dans le gotha des meilleures équipes du monde.
Pour ce qu’on en sait, le montant de cette transaction est irréel : 222 millions d’euros pour libérer le joueur de ses engagements auprès du FC Barcelone ; un salaire annuel net de 30 millions d’euros, le plus élevé d’Europe ; des commissions de transfert de quelques dizaines de millions supplémentaires. Au total, c’est un investissement de l’ordre d’un demi-milliard d’euros sur cinq ans que viennent de réaliser le club de la capitale et son propriétaire, l’Emirat du Qatar.
Pure folie ? Sans doute, mais qui obéit à l’implacable logique du marché du football. L’ex-président de la banque centrale américaine, Alan Greenspan, mettait en garde, il y a vingt ans, contre « l’exubérance irrationnelle des marchés financiers ». A l’inverse, l’on est conduit à constater, aujourd’hui, l’effervescence rationnelle du « foot business », dont l’ahurissante inflation du coût des transferts de joueurs donne la mesure : celui du prodige brésilien est environ cinq fois plus élevé que celui de Zinédine Zidane, alors meilleur joueur du monde, au Real Madrid en 2001.
Starisation, spéculation et mondialisation
Trois mécanismes font flamber les prix : starisation, spéculation et mondialisation. Dans l’industrie du spectacle qu’est devenu le football moderne, Neymar est une valeur sûre. Belle gueule, beau jeu et marketing millimétré en ont fait une marque mondiale, à l’instar de son ancien partenaire barcelonais Lionel Messi ou de son concurrent madrilène Cristiano Ronaldo. Ses dizaines de millions de « fans » sur les réseaux sociaux en attestent, comme l’invraisemblable engouement qu’il suscite, dès à présent, chez les supporteurs parisiens.
La spéculation se nourrit de cette image hors norme. A supposer que ses prestations sportives soient à la hauteur des fantasmes qu’il déclenche, le Brésilien est une poule aux œufs d’or. Le PSG en attend un solide retour sur investissement (revalorisation de ses contrats avec ses sponsors, billetterie, ventes de maillots et autres produits dérivés…). Quant à la Ligue nationale de football, ravie de l’aubaine, elle se prépare déjà à renégocier très favorablement les droits de retransmission télévisée.
Enfin, Neymar est devenu en quelques années une icône planétaire. Pour les marques dont il est la vitrine (le PSG et ses sponsors), il est capable d’ouvrir grand les portes des marchés les plus prometteurs, chinois, américain et africain. Pour le Qatar, il peut constituer un levier diplomatique opportun, au moment où l’émirat, organisateur du Mondial de football 2022, est en butte à l’hostilité de ses puissants voisins saoudiens.
Il reste qu’on aimerait entendre, ces jours-ci, prononcer deux mots : « régulation » et « redistribution ». La première, portant sur les transferts, ne peut être qu’européenne pour avoir quelque effectivité. La seconde serait le moindre des gestes, quand on sait que les plus de 200 millions déboursés par le PSG pour s’offrir Neymar dépassent le budget total des vingt clubs de Ligue 2, la deuxième division française. A défaut, il faudra admettre que le football moderne est un miroir cruel d’un monde où les riches sont de plus en plus riches et les autres de plus en plus vulnérables.
Neymar en 60 secondes
Durée : 01:12