Le panda de 142,4 grammes est né après une gestation de seulement cinquante jours. Il sera baptisé par les autorités chinoises. | GUILLAUME SOUVANT / AFP

Ils sont partagés entre joie et tristesse. Pour la première fois en France, une femelle panda a donné naissance, au zoo de Beauval, à Saint-Aignan-sur-Cher (Loir-et-Cher), vendredi 4 août. Huan Huan – prononcer « Ruan Ruan » –, l’un des deux plantigrades prêtés par la Chine en 2012 pour dix ans, a mis bas deux jumeaux, à 22 h 18 et 22 h 32. Le premier n’a pas survécu, tandis que le second, un mâle de 142,4 grammes, est en « parfaite santé ». L’événement était attendu par des milliers de visiteurs et autant de fans sur les réseaux sociaux. Il relance dans le même temps les questions sur la captivité des animaux et la réintroduction d’espèces menacées dans leur milieu naturel.

« Le premier bébé, de 121 grammes, était quasiment mort-né. Les soigneurs ont tout de suite vu qu’il était trop faible pour survivre, décrit Delphine Delord, la directrice de la communication du parc. Il était tout transparent, comme un fantôme, et sa température était très basse. La mère l’a rejeté dès que le second petit est né, comme elle le ferait dans la nature. »

Le deuxième est né tout rose et sans poil. Son cordon a été nettoyé et du colostrum – premier lait maternel riche en nutriments – lui a été administré. « Huan Huan a du lait, mais pour l’instant elle ne sait pas comment faire pour allaiter. On a mis le bébé en couveuse durant la nuit pour lui donner à boire, avant de le rendre à sa mère, poursuit Mme Delord. On est émus de ne pas avoir pu sauver l’autre, mais heureux d’accueillir un bébé panda et concentrés pour qu’il aille bien. »

Deux expertes chinoises, qui travaillent au centre de reproduction et de conservation des pandas à Chengdu (Sichuan), sont venues spécialement pour assister l’équipe de soigneurs, vétérinaires et éthologue du zoo dans cette opération délicate. La naissance n’a pas été filmée en direct, mais une vidéo sera retransmise sur les écrans géants installés dans le parc, de même qu’un live depuis la couveuse et la loge de la mère. Pour voir évoluer le bébé dans son enclos, le public devra attendre deux ou trois mois, le temps qu’il ouvre les yeux, se couvre de poils et prenne des forces. Son prénom lui sera donné par Pékin à ce moment-là.

Maladroits lors de l’accouplement

Si cette naissance n’est pas la première hors de Chine, elle n’en reste pas moins très rare. Un bébé est né en juin au zoo de Tokyo, et trois ont vu le jour l’an dernier en Europe, en Belgique et en Autriche. Car la reproduction de ces ursidés est des plus difficiles, dans la nature comme en captivité. Les pandas géants ont la réputation d’être maladroits lors de l’accouplement, les mâles peinant à discerner quand la femelle est en chaleur. Surtout, cette dernière n’est féconde qu’une fois par an, pendant quarante-huit heures, au cours desquelles elle ovule une journée seulement.

« Quand nous avons su que Huan Huan était féconde, en mars, nous l’avons mise en présence du mâle Yuan Zi, âgé de presque 9 ans comme elle, mais ils ne sont pas parvenus à s’accoupler, raconte Delphine Delord. Nous avons donc procédé à une insémination artificielle. »

A ce moment-là, Huan Huan a bien été fécondée, mais sans que le zoo le sache. En cause : la diapause embryonnaire, une faculté rarissime dans le règne animal qui permet à la femelle d’arrêter le développement du fœtus si elle estime que la période est peu favorable pour mettre bas. Elle est finalement sortie de cette phase à la mi-juillet, et son comportement a changé. « Elle avait un pic d’hormones, dormait tout le temps, mangeait beaucoup moins, ne voulait plus quitter sa loge de nuit, explique Delphine Delord. On ne savait pas encore s’il s’agissait d’une gestation ou d’une fausse gestation, comme elle l’a faite en 2016. »

Seule une échographie pouvait lever le doute. Mais en raison d’une gestation très courte – cinquante jours –, les femelles pandas mettent au monde un bébé de 100 grammes environ. Il a alors fallu attendre le 26 juillet pour que l’embryon, d’une taille de 3,4 centimètres, apparaisse à l’écran. Une autre radio, réalisée le 1er août, révélera qu’il s’agissait en réalité de jumeaux. Ce type de naissance est fréquent en captivité, de l’ordre de 50 %. Deux causes peuvent l’expliquer : les fécondations in vitro et la gémellité des parents, ce qui est le cas à la fois pour Yuan Zi et pour Huan Huan. Leur bébé retournera en Chine à l’âge de 3 ans, à destination d’un centre d’élevage ou pour tenter de le réintroduire dans la nature.

Fragmentation de l’habitat

La Chine, foyer de tous les pandas sauvages de la planète, abrite 1 864 individus selon le dernier recensement, réalisé en 2015. Après des décennies de déclin, leur population a augmenté de 17 % en dix ans, grâce à la mise en place de programmes de conservation et de réserves naturelles. Leur aire de répartition s’est également étendue, dans les provinces du Sichuan, du Shaanxi et du Gansu, dans le centre et l’ouest du pays.

La situation de cet animal emblématique reste malgré tout précaire. Il est inscrit sur la liste rouge mondiale des espèces menacées établie par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), qui constitue l’inventaire mondial le plus complet de l’état de la biodiversité. En septembre 2016, l’UICN l’a passé de la catégorie « en danger », dans laquelle il était depuis très longtemps, à « vulnérable ».

Un temps braconnés pour leur fourrure, les pandas sont aujourd’hui principalement menacés par la destruction et la fragmentation de leur habitat. Ils évoluent au sein de trente-trois sous-populations isolées, ce qui leur confère une grande fragilité. En cause : la déforestation liée à l’urbanisation, l’extension des zones agricoles ou d’élevage.

Mais le péril que l’on craint le plus pour l’avenir est le changement climatique. On estime que le réchauffement planétaire pourrait faire disparaître plus de 35 % des forêts de bambou dans les quatre-vingts prochaines années. Or les pandas ne se nourrissent que de cette plante, qu’ils mangent quatorze heures par jour. « Tous les efforts pourraient être anéantis si le réchauffement se poursuit », indique Florian Kirchner, chargé de mission sur les espèces menacées à l’UICN.

« Objet de consommation »

Pour justifier leur activité, les zoos mettent en avant les programmes de conservation et de réintroduction des espèces qu’ils financent. Le zoo de Beauval est ainsi impliqué dans 45 programmes, pour 950 000 euros par an. « Ils deviennent des acteurs de la conservation de la nature, reconnaît Florian Kirchner. Il y a quelques espèces qui ont pu être sauvées grâce à la captivité, comme le cheval de Przewalski ou la perruche de Maurice. Reste qu’il y a énormément d’échecs. »

Les réintroductions en milieu naturel sont de fait très difficiles. « C’est un but honorable, mais l’animal est imprégné de l’homme et n’est plus adapté à son véritable milieu, considère Franck Schrafstetter, le président de l’ONG Code animal, qui lutte contre la captivité des espèces. Il n’y a aucun rapport entre le biotope du Loir-et-Cher et celui des montagnes chinoises, où les pandas vivent dans un climat frais et humide, dans une végétation très dense et en altitude. »

Le militant dénonce une « opération marketing » qui « cache les 99,5 % des espèces condamnées à rester enfermées » et « banalise le panda comme un objet de consommation pour divertir les humains ». « Ce genre d’événement ramène beaucoup d’argent au zoo », assure-t-il. Beauval, qui abrite plus de 10 000 animaux de 600 espèces, a investi 5 millions d’euros pour créer sa « zone panda » et paie 750 000 euros par an à la Chine pour le prêt des animaux. Mais dans le même temps, l’établissement, à la communication rodée, a trouvé le filon : il a accueilli 1,4 million de visiteurs en 2016 contre 600 000 en 2011, tandis qu’il triplait quasiment son chiffre d’affaires sur la même période, de 20 millions à 55 millions d’euros. Des pandas aux œufs d’or.