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L’île de Guam est plutôt isolée dans l’océan Pacifique. A part ses voisines directes, les îles Mariannes du Nord, ce bout de terre de 550 km² est à plus de 2 000 kilomètres à vol d’oiseau du Japon, des Philippines et de la Papouasie Nouvelle-Guinée.

Depuis jeudi 10 août, c’est un voisin situé à environ 3 400 kilomètres de là, la Corée du Nord, qui suscite l’inquiétude. L’agence officielle nord coréenne KCNA a confirmé que Pyongyang envisageait de lancer quatre missiles à proximité de l’île, après une nouvelle montée des tensions entre le régime de Kim Jong-un et les Etats-Unis. Ces missiles, des Hwasong-12, parcourront « 3 356,7 kilomètres en 1 065 secondes et s’écraseront dans l’eau à 30 à 40 kilomètres de Guam », indique le communiqué de l’agence KCNA.

L’annonce nord-coréenne intervient alors que le président Donald Trump a averti la Corée du Nord qu’elle pourrait – si elle poursuit ses menaces contre les Etats-Unis – subir « le feu et la colère comme le monde ne l’a jamais vu jusqu’ici ». « Il semble que le dialogue soit impossible avec un tel homme qui a perdu la raison, et seule la force absolue marchera face à lui », a répliqué le régime de Pyongyang.

Une importance stratégique

Aujourd’hui, environ 6 000 soldats américains sont stationnés sur l’île de Guam (pour 160 000 habitants au total), partagés entre le port, la base navale au Sud, et la base aérienne au Nord. Les militaires occupent environ 28 % du territoire.

Face aux menaces nord-coréennes, le gouverneur de l’île s’est montré rassurant : « Nous sommes prêts à toute éventualité, plus que toute autre communauté américaine », a déclaré Eddie Calvo.

« Il faut comprendre que même dans le scénario d’une chance sur un million, nous sommes prêts à ce que Guam soit ce qu’elle est depuis des décennies, un territoire américain avec des atouts stratégiques militaires, dans une région très dynamique. »

Guam dispose du bouclier antimissile américain Thaad (Terminal High Altitude Area Defense) capable d’abattre certains missiles balistiques, d’une portée de 200 kilomètres environ. Ce système a été initialement déployé sur l’île en 2013 pour répondre à un nouveau cycle de tensions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord.

La proximité de l’île avec la péninsule coréenne et le Japon en fait un territoire particulièrement stratégique pour les Etats-Unis. « Guam est devenu un hub stratégique important pour l’armée américaine dans l’Ouest Pacifique », déclarait le secrétaire adjoint à la défense de Barack Obama, Ashton Carter, en 2012.

Le territoire apparaît à plusieurs reprises dans l’histoire militaire américaine. Selon le Japan Times, l’armée avait envisagé de faire décoller l’Enola Gay, le bombardier ayant largué la bombe atomique sur Hiroshima, depuis l’île de Guam. L’île de Tinian fut finalement choisie.

Le statut politique de Guam est particulier. Elle est, avec Porto Rico et les Mariannes du Nord, un territoire organisé (depuis 1950), c’est-à-dire qu’elle n’a pas le statut d’Etat. Ses citoyens naissent américains mais n’ont pas le droit de vote aux élections présidentielles, et ne payent pas d’impôts sur le revenu au Trésor américain. Ils élisent cependant un gouverneur.

Les Etats-Unis ont pris le contrôle de Guam en 1898, propriété de la couronne espagnole depuis le XVIe siècle. Attaquée par le Japon pendant la seconde guerre mondiale, l’île a finalement été à nouveau reprise par les Etats-Unis en 1944. Elle a récemment célébré le 73e anniversaire de la libération. Guam est habitée depuis plusieurs millénaires, et la population indigène Chamorro représente aujourd’hui 37 % des habitants de l’île.

Tourisme, tempêtes et séismes

Guam vit à la fois de la présence de nombreuses troupes américaines mais aussi du tourisme, notamment coréen, chinois et japonais : autour d’1,3 million de touristes par an, selon le PacificDailyNews. Selon les chiffres du bureau de Guam, le mois de juillet écoulé a été le plus fructueux pour le tourisme en vingt ans. Guam est « une destination insulaire sécurisée et protégée », a rassuré le directeur du bureau du tourisme, Jon Denight, dans un communiqué.

Sur le plan climatique, Guam doit régulièrement affronter des tempêtes. L’île « peut être menacée annuellement par le passage d’un cyclone tropical en développement, et à certaines occasions, par un puissant typhon », expliquait l’administration américaine dans les années 1990. En plus des risques de tempêtes, Guam est parfois touchée par des séismes ; en 1993, l’un d’entre eux a fait des dizaines de blessés. Par ailleurs, un serpent a été accidentellement introduit sur l’île dans les années 1940, dont la voracité a fait disparaître dix des douze espèces d’oiseaux y vivant. La disparition de ces prédateurs naturels de l’araignée a eu pour conséquence un développement inattendu et massif de la population d’araignées sur l’île.

Le gouvernement américain souhaite envoyer environ 6 000 personnes en plus sur l’île de Guam, dont 5 000 marines à partir de 2022, notamment pour désamorcer les tensions créées par la présence militaire américaine sur l’île japonaise d’Okinawa. Le projet ne ravit pas tous les habitants. L’armée américaine possède une certaine importance dans la vie de l’île, qui n’a, elle, qu’un pouvoir politique limité.

Certains habitants voudraient notamment que Guam sorte de son statut politique de territoire organisé, par exemple en devenant un Etat à part entière, avec un droit de vote pour ses citoyens et un représentant élu au Congrès. Le gouverneur Eddie Calvo lui-même souhaite un référendum d’autodétermination qui permettrait aux habitants de choisir entre devenir un Etat américain, être indépendant ou bien un associé libre des Etats-Unis avec des pouvoirs administratifs.

« Je rappelle souvent aux gens que Guam peut regarder les Etats-Unis et y voir l’alpha et l’oméga, mais que les Etats-Unis ne voient rien en Guam », jugeait récemment Michael Lujan Bavacqa, spécialiste de la culture Chamorro à l’université de Guam, dans The Diplomat.