A l’heure ou en retard ? Le Cameroun s’inquiète des chantiers pour la CAN 2019
A l’heure ou en retard ? Le Cameroun s’inquiète des chantiers pour la CAN 2019
Par Josiane Kouagheu (contributrice, Le Monde Afrique, Douala)
Le torchon brûle entre la Confédération africaine de football et Yaoundé. Un sentiment nationaliste affirme, à l’instar du président, que le pays construira ses stades à temps.
La maquette du stade Paul Biya d’Olembe, dont la construction est confiée au groupe italien Piccini pour 248,5 millions d’euros et dont les travaux ne semblent pas en avance. / DR
Le Cameroun sera-t-il prêt à temps pour accueillir la prochaine Coupe d’Afrique des nations, prévue en juin 2019 ? Rien n’est plus sûr. « Même à quatre équipes, le Cameroun n’est pas prêt (…) En l’état actuel des choses, aucun site au Cameroun n’est en mesure d’accueillir la Coupe d’Afrique des nations de football », s’est alarmé Ahmad Ahmad, le président de la Confédération africaine de football (CAF), lors d’un déplacement au Burkina Faso.
Des propos accueillis avec une « profonde consternation » par le président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot). « D’où vient-il que deux ans avant une compétition, une campagne d’intoxication et de désinformation soit engagée pour dire que le Cameroun ne sera pas prêt », s’est interrogé Tombi A. Roko, dans un communiqué, tout en précisant que tout était mis en œuvre pour organiser une CAN « sereine ».
Pourtant, sur les plateaux télévisés, dans les bars, les taxis et partout où le football anime les conversations, les déclarations d’Ahmad Ahmad ont semé le doute et ranimé les inquiétudes. Depuis la création de la CAN en 1956, le Cameroun, cinq fois champion d’Afrique, n’a accueilli le plus grand rendez-vous sportif du continent qu’une seule fois. C’était en 1972. La sortie du président de la CAF a donc été perçue comme un véritable affront, jusqu’au sommet de l’Etat.
#Cameroun #Can2019 .
#PaulBiya confirme l'organisation de la CAN 2019 "Le #Cameroun sera prêt le jour J. J'en prend… https://t.co/93bLsn3r6C
— SangareAssa (@tweett africain)
Paul Biya : « le Cameroun sera prêt le jour dit »
« La CAN 2019, c’est déjà demain. Vous avez rendez-vous avec l’Afrique sportive, ici même au Cameroun. Et le Cameroun sera prêt le jour dit, j’en prends l’engagement », a assuré Paul Biya, le président de la République, jeudi 10 août, au cours d’une réception donnée en l’honneur des athlètes camerounais médaillés des 8e jeux de la francophonie et autres compétitions internationales, au palais présidentiel.
La CAN 2019 a été attribuée en 2014 au Cameroun par l’équipe dirigée par Issa Hayatou, le tout puissant président camerounais de la Confédération africaine de football (CAF) de 1988 à mars 2017. Selon le cahier de charges, le Cameroun devait, entre autres, construire et réhabiliter des stades pour accueillir 16 nations africaines. Seulement, après 29 ans de règne, Issa Hayatou a été battu aux élections de la CAF en mars 2017 et la nouvelle équipe dirigeante de la Confédération a décidé de passer de 16 à 24 équipes dès l’édition 2019. Un défi supplémentaire pour le Cameroun.
La #CAN2019 donne des sueurs froides au gouvernement. 😤 https://t.co/xTBPR1e6gx
— Clarenceyongo (@YONGO Clarence)
Au cours d’une conférence de presse, Bidoung Mpkwatt, le ministre des Sports, s’est voulu rassurant. Sur les 7 stades et 25 terrains d’entraînement dont doit disposer le pays, 11 ayant servi lors de la CAN féminine 2016 sont « prêts, disponibles et fonctionnels ». 14 sont à réhabiliter. Restent 7 à construire dont les deux complexes « les plus prestigieux, en occurrence, Olembe et Japoma, ayant déjà démarré ».
« On a passé trois ans à ne rien faire et il a fallu que l’ancien buteur des Lions indomptables, Patrick Mboma, s’inquiète pour que l’on se souvienne qu’il y a une CAN à organiser, estime le journaliste sportif Pierre Arnaud Ntchapda. Le gouvernement s’est mis à donner des assurances mais jusqu’ici on ne voit rien bouger. Les délais de construction des stades avancés par les Italiens et les Turcs ne suffisent pas pour rassurer ». Le journaliste précise que les choses se sont compliquées avec la décision de passer à 24 équipes. « On est sûr que si la CAN reste au Cameroun, ce ne sera pas la CAN de rêve mais bel et bien une CAN au rabais », ajoute-t-il.
En février 2017 à Libreville, Benjamin Moukandjo lève le trophée de la CAN 2017 après la victoire en finale de son pays, le Cameroun, contre l’Egypte / Sunday Alamba / AP
Dans un pays où le football est roi, les réactions se multiplient sur les réseaux sociaux. Alors que l’orgueil national a été froissé, un sursaut « patriotique » est vivement demandé. Pour certains, le Malgache Ahmad Ahmad veut satisfaire le Maroc ou l’Algérie qui ont manifesté le désir d’accueillir cette CAN. Pour d’autres, le président de la CAF veut se venger d’Issa Hayatou dont l’équipe avait retiré l’organisation de la CAN des moins de 17 ans à Madagascar, son pays, suite « aux rapports des visites d’inspection ».
Alors le Cameroun retient son souffle. Initialement prévue en septembre 2017, la mission d’inspection de la CAF aura finalement lieu entre les 20 et 28 août. « Le Cameroun a déjà cinq stades. On ne parle pas de ceux qui sont en train d’être construits. On peut compter le nombre de pays qui ont ce que nous avons », a déclaré pour sa part Issa Hayatou aux journalistes. L’ancien président de la CAF a tenu à rappeler que la CAN cadets avait été retirée à Madagascar au « mois de janvier, pour une compétition prévue en mai, donc quatre mois avant ».
Oublier la CAN, construire des hôpitaux et des écoles
Reste que pour Charles Mongue Mouyeme, analyste sportif, le Cameroun est « en retard ». « Quand on regarde l’état des voiries dans les villes qui doivent accueillir la CAN, le niveau des infrastructures hospitalières, hôtelières, de transport et de télécommunications, on se rend à l’évidence que la tâche est immense pour répondre aux exigences de la CAF. Et lorsqu’on est conséquent, sachant dans quelle situation socio-politico-économique le pays se trouve, on ne peut pas déclarer péremptoirement que tout va pour le mieux », soutient-il.
Infirmière dans une clinique privée de Douala, la capitale économique, Marylise est offusquée par « l’immense » attention portée sur l’organisation de la CAN alors que « des femmes enceintes continuent de mourir en couches, faute de soins. Des enfants meurent de paludisme et les survivants sont privés d’école, faute de moyens ». « Il faut oublier la CAN et construire des écoles, des routes, des hôpitaux, des universités et donner de l’emploi aux jeunes », estime-t-elle.
À quel prix maintenant ? G peur qu'on se retrouve sur les genoux après cette #CAN2019 https://t.co/qLVIEldf8B
— rocco_haram (@M!ster Merr!ck)
Au volant de son vieux taxi, Jean-Calvin, passionné de football, ne « cautionne pas la folie » du gouvernement. « Des milliards et des milliards sont investis sur cette Coupe d’Afrique. Qu’est ce que les Camerounais y gagnent ? Regardez ces jeunes chômeurs dans la rue. Ce sont des licenciés, des doctorants. Ils cherchent du travail et nous investissons dans le football. Quelle folie », regrette-t-il.
« Je propose au président Biya d’oublier la CAN. Un troisième pont sur le Wouri, un deuxième pont sur la Sanaga feraient du bien aux Camerounais. Ce n’est pas bon d’être volontairement sourd et aveugle », a ironisé Denis Nkwebo, président du syndicat des journalistes du Cameroun, sur sa page Facebook.