Au Maroc, pays qui se veut, selon les discours officiels, chantre d’un islam tolérant et où les femmes n’ont pas l’obligation de porter le voile, marcher seule dans la rue relève parfois du parcours de la combattante. Elles y subissent fréquemment remarques désobligeantes et insultes.

Récemment, la question du harcèlement des femmes a refait surface après la diffusion sur les réseaux sociaux, fin juillet, d’une vidéo d’une dizaine de secondes montrant une horde de jeunes hommes en train de traquer une femme en jeans et tee-shirt marchant seule dans la rue. La scène se déroule sur une avenue de Tanger, dans le nord du pays.

همجية. عشرات الشبان يهاجمون شابة بسبب ملابسها بكورنيش طنجة

Ces images ont suscité des réactions contrastées sur les réseaux sociaux. Car si certains désapprouvent, d’autres s’en sont pris à la victime, jugeant sa tenue « indécente ». « Elle peut se dénuder si elle veut, mais pas dans notre ville conservatrice ! », a commenté un internaute. « Cette traînée a eu ce qu’elle méritait ! », a écrit un autre.

Soutien des médias locaux

Les médias locaux et défenseurs des droits de l’homme ont immédiatement condamné le harcèlement de la jeune femme, tirant la sonnette d’alarme sur ce phénomène. « Le harcèlement sexuel, un sport national au Maroc ? », a titré le site d’informations Ladepeche.ma. Le site Hespress.ma, le plus lu du royaume, écrit quant à lui : « La traque collective d’une jeune Marocaine remet sur le devant de la scène la question du harcèlement sexuel ».

Pour Khadija Ryadi, ex-présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et Prix de l’ONU pour les droits de l’homme en 2013, « des femmes sont agressées dans la rue, humiliées, insultées. A un certain moment de la nuit, ça devient l’état de siège pour elles ».
« C’est une vraie crise de valeur dans notre société », a-t-elle ajouté auprès de l’AFP.

Au cœur de la capitale, Rabat, peu de femmes sont attablées en terrasse des innombrables cafés qui trônent sur le fameux boulevard Mohammed-V. « Et encore ! Nous sommes dans un quartier plutôt chic. Allez voir dans les quartiers populaires, les femmes y sont exclues de l’espace public ! », vitupère Sara, la trentaine, une habitante du quartier. « Sans parler des villes conservatrices ou des bourgades reculées. Cela vous donne une image de l’hégémonie de l’homme. »

En cause, une « culture traditionnelle » qui considère l’espace public comme réservé aux hommes et, de ce fait, « la présence des femmes comme une intrusion indue », explique Nouzha Skalli, militante pour l’égalité des sexes et ex-ministre chargée des droits des femmes, qui évoque une « recrudescence » des agressions dans l’espace public.

En toile de fond, les contradictions d’une société tiraillée entre modernité et conservatisme. D’un côté la « libéralisation des mœurs, qui légitime l’attrait sexuel pour les filles et déculpabilise la drague », de l’autre la « propagation d’une idéologie misogyne et agressive, qui les accuse de s’habiller de façon provocante et les considère comme responsables », décrypte Nouzha Skalli.

« Une idéologie moyenâgeuse »

En termes de violences à caractère sexuel ou sexiste, le Maroc présente un bilan pour le moins déplorable. Selon des chiffres officiels, près de deux Marocaines sur trois sont victimes de violences. Et les lieux publics sont les endroits où la violence physique à leur égard est la plus manifeste.

Ces dernières années, plusieurs cas d’agressions ont défrayé la chronique, notamment sur les plages, où les femmes hésitent de plus en plus à se mettre en maillot de bain. Ces agressions revêtent un caractère collectif et décomplexé, de la part de jeunes se considérant comme « défenseurs de la vertu », regrette Nouzha Skalli, qui dénonce une « idéologie moyenâgeuse et dangereuse ». En 2016, une page Facebook, fermée depuis, incitait à prendre en photo des femmes en bikini pour les désigner à la vindicte publique. Pour Khadija Ryadi, ex-présidente de l’AMDH, « les idées rétrogrades véhiculées sur les chaînes satellitaires du Moyen-Orient et les discours religieux ont empoisonné notre société ».

En réaction à cette vidéo, Mustapha Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’homme, joint par l’AFP, concède que la loi marocaine « condamne le harcèlement des femmes au travail, mais pas dans les espaces publics ». Il assure néanmoins qu’un projet de loi « complet » qui criminalise les violences à l’égard des femmes, incluant pour la première fois le harcèlement dans les lieux publics, est en cours d’adoption au Parlement.