Claire Tabouret, la peintre qui s’inspire des migrants
Claire Tabouret, la peintre qui s’inspire des migrants
M le magazine du Monde
Depuis que François Pinault a jeté son dévolu sur ses toiles figuratives et engagées, l’artiste est très demandée. Elle expose au château de Fabrègues, à Aups, et au Creux de l’enfer, à Thiers. Avant Marseille, fin août, puis Shanghaï, cet automne.
A 36 ans, Claire Tabouret s’installe dans le milieu artistique avec ses peintures figuratives, pleines de personnages floutés aux allures énigmatiques. / YOHANNE LAMOULÈRE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
Cet été, Claire Tabouret est partout. La peintre, née en 1981, signe une impressionnante fresque, dévoilée début juillet et peuplée de 85 enfants costumés dans la chapelle du château de Fabrègues, propriété du décorateur Pierre Yovanovitch, à Aups, dans le Var. Au Creux de l’enfer, à Thiers, en Auvergne, elle présente jusqu’au 17 septembre une série de tableaux autour du thème aquatique. Et elle sera au programme de la rentrée de la Friche la Belle de mai, à Marseille, du 25 août au 29 octobre, avec des œuvres inspirées des migrants.
La peinture, elle en parle comme d’une évidence : « Ce n’était pas un choix ou une question stratégique, mais une vocation. J’avais besoin d’avoir ça dans ma vie. » Tant pis si le médium est mal aimé dans l’art contemporain français, si son travail n’est pas d’emblée validé et si elle met du temps à intégrer une galerie. A ses débuts, elle a tâtonné, cherché son style, quelque part entre minimalisme et abstraction.
Puis, en 2011, la Française s’est tournée vers la figuration. Floutés, ses personnages semblent nimbés d’un halo aux teintes toxiques, vert nucléaire, violet hématome. Elle peint des débutantes de bal de fin d’année, ensevelies sous leurs taffetas, des bambins debout, déterminés, scrutateurs et pas très angéliques, d’énigmatiques sorcières aux cheveux longs. Le costume dont elle affuble ses personnages enfantins se fait tour à tour camouflage et uniforme, à l’image de toutes les attentes que les adultes projettent sur eux. « Quand on est face à ces groupes, on pense à soi-même, à la question du destin, explicite-t-elle. Comment certains sortent-ils du rôle dans lequel on les a assignés ? »
Claire Tabouret, devant sa fresque, peinte dans la chapelle du château de Fabrègues, appartenant au décorateur Pierre Yovanovitch, à Aups dans le Var. / YOHANNE LAMOULÈRE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
En restant droit dans ses bottes. Ou en chaussant celles de sept lieues. C’est le double pari de Claire Tabouret qui a patiemment creusé son sillon. Jusqu’à ce que la chance frappe à sa porte. En 2013, François Pinault annonce sa venue chez sa galeriste d’alors, Isabelle Gounod. Séduit, le milliardaire breton achète et le fait savoir. L’effet Pinault est immédiat : ses tableaux se vendent comme des petits pains, jusqu’à Shanghaï, où elle exposera en novembre prochain au Yuz Museum. Le succès, la jeune femme le savoure sans se laisser griser. Dès que les lauriers ou les habitudes s’installent, elle largue les amarres. Et ce dès 2011, lors d’une résidence à Marseille. Peu inspirée, déprimée, elle grimpe dans un bateau qui fait la navette avec Alger. Grâce à l’autorisation de la compagnie SNCM, elle fait quinze jours de va-et-vient sur l’eau, sans jamais mettre pied à terre en Algérie. Et en tirera des œuvres sur les barques de réfugiés qui traversent la Méditerranée.
En janvier 2015, devenue célèbre dans l’art, elle prend un aller simple pour Los Angeles : « Je suis tombée amoureuse de la ville, mais je ne me suis pas laissé le choix. On a la sensation d’être loin, en décalage horaire, en retard presque. On est face à la mer et on tourne le dos à plein de choses. » Elle peint alors des personnages de dos, des visages où le maquillage bave, où la séduction se teinte de folie. Mais même en retrait ou déboussolée, Claire Tabouret reste une guerrière. « En arrivant dans une ville où on ne me connaît pas, où on ne m’attend pas, je dois me mettre au travail », dit-elle d’un ton ferme. En deux ans, elle n’a pas chômé. Mais déjà, elle a des fourmis dans les jambes. Pour expérimenter une solitude encore plus féconde, elle vient d’acheter une maison dans le désert californien. Manière aussi de se rapprocher symboliquement de l’écrivaine suisse Isabelle Eberhardt (1877-1904) qui l’a beaucoup inspirée : elle mourut engloutie dans sa demeure lors d’un orage dans le désert algérien.
La chapelle, château de Fabrègues, Aups. Visites sur réservation : chapelle@chateaudefabregues.com. « Neptune », Le Creux de l’enfer, jusqu’au 17 septembre. www.creuxdelenfer.net « Claire Tabouret », La Friche la Belle de mai, du 25 août au 29 octobre. www.lafriche.org.