Le jour où Alsadig a reçu la réponse à sa demande d’asile
Le jour où Alsadig a reçu la réponse à sa demande d’asile
Par Maryline Baumard (envoyée spéciale à Vichy)
Pour ce Soudanais de 27 ans installé à Vichy, une feuille de papier rose a marqué le début de sa nouvelle vie de réfugié. Il se souvient.
Alsadig révise un cours de français dans la chambre de son studio, au foyer Adoma de Vichy. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE
Ce matin-là, son corps ne lui obéissait plus, ses doigts encore moins. Alsadig a quasiment fait une croix, en guise de signature, tellement une peur panique avait pris le contrôle de son cerveau. Quand la postière lui a tendu l’enveloppe, il l’a scrutée, interrogée, tel un aruspice tentant de deviner ce que cachent des entrailles. Puis il l’a passée à Ahmed, son ami, qui en a déchiré un angle. Juste un tout petit coin, pour apercevoir la couleur de la feuille à l’intérieur… Rose, il avait l’asile ; jaune, il était refusé. « Là, Ahmed m’a dit “félicitations” et j’ai pleuré », confie le Soudanais de 27 ans, tellement heureux que la France ait reconnu son besoin de protection.
Pour lui, le supplice avait commencé la veille. Quand il a trouvé dans la boîte aux lettres l’avis de réception de ce recommandé, il a tout de suite su que c’était la réponse à sa demande d’asile. Sans rien dire à personne, Alsadig a plié le papier dans sa poche. Il avait deux solutions : soit aller récupérer la lettre tout de suite au dépôt à Cusset, à quelques arrêts de bus ; soit attendre le lendemain et prendre le courrier à la Poste, à deux pas du foyer Adoma où il vit depuis qu’il est arrivé à Vichy (Allier). Trop terrorisé pour filer à Cusset, il attendrait le lendemain, une façon de voler du temps au destin. S’il était refusé, au moins, il aurait joui une journée de plus de l’idée qu’il pouvait être réfugié. Ainsi va le cerveau humain.
Toute la journée, il n’a pensé qu’à ça. Et quand le soir il s’est couché, il n’a pas dormi. « À 2 heures du matin, je n’en pouvais plus d’attendre et je suis allé frapper à la chambre d’Ahmed. Je lui ai raconté et il m’a promis qu’on irait ensemble dès l’ouverture du bureau », raconte Alsadig. « Une fois l’enveloppe ouverte, ça a été un moment étrange. Je me sentais bizarre, un peu flottant avec mes papiers. Ça m’a ramené au moment où, au Soudan, j’ai terminé l’école et suis sorti diplômé », se rappelle le jeune homme. Trop-plein d’émotions, et ce qui aurait pu être une joie ne l’est pas…
« Je n’avais aucun but »
L’obtention des papiers lui a donné envie de donner un coup d’accélérateur à son apprentissage du français, « parce que je dois ça à la France qui m’a accordé sa protection », explique-t-il, le visage impénétrable. « Avant d’avoir le statut, j’ai suivi beaucoup de cours. Mais dans le fond, je n’étais pas vraiment prêt à progresser, même si j’aimais les cours de Marie, Bernard ou Claudine [bénévoles du Réseau Vichy Solidaire] », analyse Alsadig.
Si son intégration est sur le bon chemin, il lui reste à travailler son projet professionnel. « Ce sera l’étape suivante. J’aime Vichy, mais j’irai m’installer où je trouverai un emploi », estime, un brin fataliste, celui qui voudrait devenir électricien. « J’ai fait ce travail au Soudan. Ça me plaisait et j’aimerais le refaire en France, même s’il me faudra d’abord suivre une formation pour être au point. » L’électricité est un fil qui le relie à son ancienne vie. Celle qu’il menait tranquille au Darfour, avant, comme il dit pudiquement, « d’avoir des ennuis avec le gouvernement » et de devoir partir vers la Libye, où il a travaillé comme boulanger.
Alsadig montre une photo de lui au Soudan. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE
Alsadig n’était pas programmé pour venir en Europe. « J’ai juste dû fuir mon pays, sans autre choix. Je n’avais aucun but parce que ce départ s’est imposé sans être prémédité. Après, en revanche, j’ai dû réfléchir. Même si ça allait pour moi en Libye, parce que j’avais un patron qui était bien, un homme bon, je me suis dit que je ne pouvais pas rester dans ce pays où il est impossible de mener une vie normale. Alors un jour j’ai décidé de prendre la mer et d’aller voir plus loin », résume-t-il brièvement.
A 170 dans un canot
Caché dans une benne bâchée, puis dans une ferme cinq jours durant, puis entassé avec 170 personnes dans un canot pendant sept heures, il est finalement arrivé un midi en Sicile. « Ça n’a pas été la révélation de l’Europe. Quand je suis descendu du navire, j’étais perdu. Je n’avais aucun but particulier, aucune préférence ; je ne savais pas dans quel pays je voulais aller… La seule idée qui s’est rapidement imposée à moi, c’est que je devais quitter l’Italie », raconte-t-il.
Alors Alsadig a repris la route du nord, doublant Rome et Milan pour arriver à Vintimille. Là, il a tenté trois traversées de la frontière avant de passer, d’arriver à Paris et de décider de rester en France. Un Soudanais rencontré dans la capitale l’a emmené au lycée Jean-Quarré, un immense squat du 20e arrondissement, où il n’est resté que quelques jours. Lors de l’évacuation du lycée, en octobre 2015, comme 80 autres volontaires il est monté dans un bus en direction de Varennes-sur-Allier, 400 km plus loin.
Là, lui qui aimait la musique et écoutait volontiers des chanteurs occidentaux s’est regroupé avec ceux qui chantaient des airs soudanais. « Parce que l’exil incite à ce retour vers sa culture d’origine », estime-t-il, très calme. Dans sa vie d’avant, il jouait de la guitare ; aujourd’hui, il chante dans les Soudan Célestins Music (groupe de réfugiés dont Le Monde suit les premiers pas en France). En attendant ce moment où commenceront, demain ou plus tard, les cours d’électricité dont il rêve. Le début de sa nouvelle vie.